Notre Dame des Landes : les élus locaux entre deux feux.

Je continue à mettre en ligne mon travail universitaire autour de la question du projet de l’aéroport de Notre Dame des Landes. Ce texte a été écrit en novembre 2015, c’est-à-dire avant les élections régionales qui ont vu la victoire de Bruno Retailleau, sénateur vendéen largement favorable au projet mais surtout farouche opposant à la ZAD qui représente pour lui le summum du désordre public. Quand on sait que le nouveau président de la région Pays de la Loire fut un très proche de Philippe de Villiers, un opposant de la première heure au Mariage pour Tous, on comprend très bien cette réaction sécuritaire et autoritaire. A mon avis, c’est le symptôme même de ce que ces grands barons de l’Etat ne veulent pas : l’impuissance d’un Etat qui s’est bien trop compromis depuis des décennies avec le pouvoir libéral économique qui a fait monté inégalités, communautarismes et exclusions. 

Dans l’ensemble, les élus et les collectivités locales de la région sont plutôt favorables au projet. On peut toutefois se demande s’il n’existe pas une limite à ce consensus en nous demandant si le soutien à l’aéroport ne serait pas le fait surtout d’élus « nationaux » (députés, sénateurs, ministres) et que la contestation de la validité du projet (plus qu’une réelle opposition) serait le fait d’élus « locaux », des maires et des conseillers municipaux ?

Cela nous amène à une seconde remarque. C’est qu’il existe souvent une différence marquée entre le positionnement d’une collectivité (en particulier les communautés de communes) et les choix personnels des élus locaux. En effet, beaucoup de communautés de communes impactées par le projet sont collectivement favorables au projet, d’ailleurs elles font toutes partie du SMA, le Syndicat Mixte aéroportuaire, tandis que dans le détail, les élus représentants, conseils municipaux ou maires, sont à titre individuels contre le projet. Il en est de même avec les sections locales du Parti communiste et du Parti socialiste : si nationalement ces deux partis se prononcent pour le projet, les fédérations ou sections régionales sont parfois contre. Ainsi, sur le listing des membres de l’Association d’élus contre l’aéroport CéDpa, on trouve un grand nombre d’élus de la Communauté de Commune d’Erdre et Gesvres, alors que cette collectivité s’est prononcée pour le projet. Il existe donc bien une dichotomie forte entre la collectivité, le collectif représentatif et le choix individuel. A tel point que ces individus vont jusqu’à créer un autre collectif, à côté de ceux institutionnels dont ils font pourtant partie, pour porter une autre dynamique en totale contradiction avec celle qu’ils portent par ailleurs. On peut parler là réellement de schizophrénie !

On peut se demander pourquoi une telle contradiction ? Est-ce simplement un conflit purement politicien, pour les partis politiques, entre des consignes nationales plutôt « parisiennes » et des réalités locales plus prégnantes ? A-t-on assisté à des pressions sur les élus des collectivités territoriales, pressions politiques certes mais aussi administratives, pour qu’ils appliquent les politiques publiques, en particulier de la décentralisation ? Les limites temporelles de ce travail ne nous permettent pas d’apporter une réponse à cette question qui demanderait une enquête approfondie en particulier par des entretiens individuels.

En fait, il existe bien un hiatus entre ce que les élus considèrent comme « bon » pour la collectivité et ce qu’ils envisagent comme « bon » pour le bien-être des habitants et du territoire. Le territoire ne correspondrait donc pas totalement à la collectivité territoriale qui l’administre. Il entrerait dans l’idée de territoire des considérations autres, différentes, peut-être plus approfondie comme autour de l’environnement. C’est peut-être là que l’on trouve les limites conceptuelles du « développement durable » défendu par l’Etat et les collectivités mais qui serait insuffisant au regard des réalités à la fois locales et globales de la situation actuelle. Ici, les élus se positionnent peut-être comme des habitants du territoire qu’ils sont, avant même d’en être des élus représentatifs. On pointe ici alors les limites de la démocratie représentative (qui seront plus analyser dans le dernier paragraphe) à savoir qu’elle représente ce que l’on nomme « l’intérêt général » qui n’est pas la somme des intérêts particuliers, mais qui méconnaît les intérêts collectifs et surtout locaux.

Il existe alors un tiraillement entre les enjeux qui veut et doit défendre les collectivités, surtout en matière de développement économique mais aussi autour du légalisme dans lequel elle se situe par rapport aux décisions prises par les instances supérieures de l’Etat comme le Conseil d’Etat ; et les enjeux d’un territoire plus résidentiel que productif, envisagé comme un cadre de vie, un paysage mais aussi un espace où peuvent se repenser à la base les formes d’organisation, de prise de décision.

A l’échelle régionale, le projet de l’aéroport est une épine qui divise largement les tendances et les partis politiques. Il est évident qu’il sera l’un des enjeux majeur de la prochaine élection régionale en décembre 2015. Les candidats au conseil régional des Pays de la Loire sont pris entre les lignes nationales de leurs partis et les impératifs de la politique locale. Essayons de résumer la situation.

A gauche, le Parti Socialiste est pour le projet et le candidat à la succession de Jacques Auxiette farouche défenseur du projet, Christophe Clergeau, est lui aussi favorable à l’aéroport. Sur son site[1], il fait d’ailleurs une profession de foi pour ce projet porteur d’avenir et de progrès. On remarquera que, comme souvent dans les discours des pro-aéroport, ce n’est pas tant la construction sur le site de Notre Dame des Landes qui est mentionné, mais bien plutôt le transfert de Nantes Atlantique. Comme si on voulait occulter la réalité du bétonnage à venir. Le candidat socialiste fait jouer deux arguments : tout d’abord le constat qu’il s’agit bien d’un combat pour une vision du monde, avec toujours en filigrane cette idée sous-jacente que les pro-aéroports soutiennent le progrès contre « l’immobilisme »[2]. Il faudrait bien sûr revenir sur cette notion passéiste de progrès… Ce progrès n’est pas que technique, il est aussi sociétal, celui de l’ouverture de la région sur le monde multipolaire. S’adressant aux écologistes et aux opposants au projet il précise : « Qu’ils nous disent donc clairement que la relocalisation de l’économie est une alternative à la mondialisation si c’est ce qu’ils pensent. Ce n’est pas notre point de vue; si la stratégie de relocalisation vaut dans de nombreux domaines elle n’est pas un modèle alternatif à une société ouverte à l’échange international: relocalisation et ouverture internationale doivent se compléter et non s’opposer. »

On pourrait s’interroger ici sur les termes, et par exemple comparer l’idée de relocalisation avec celle de territorialisation.

Le second argument est celui de la « responsabilité » des élus : responsabilité vis-à-vis des électeurs, responsabilité en tant qu’homme politique, responsabilité envers les générations futures. Cela fait beaucoup de responsabilités ! Cette responsabilité diverse doit être en fait, selon le candidat, un équilibre à trouver entre « faire allégeance à nos prédécesseurs » ou bien « marquer notre différence par une opposition et une rupture. » Il faut en fait trouver sa propre identité sur ce dossier qui cristallise les passions, sans doute une utopie. Il est intéressant de remarquer que l’approbation du projet peut-être vu comme une sorte de « suivisme » de positionnements anciens et ancrés, mais aussi comme une forme de vassalité dont la vie politique française est bien loin de s’être débarrassé ! En effet, on peut se demander comme le candidat socialiste, s’il reste de la place aujourd’hui en 2015 aux hommes et femmes politiques de la région après l’écrasante et éclatante réussite des politiques locales engagées depuis une vingtaine d’année, en particulier par l’ancien maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault ? Peuvent-ils-elles penser autrement que comme lui, alors que la régénération de la ville est un succès manifeste ? Sans faire de la psychanalyse (même si bon nombre de responsables politiques en auraient besoin), s’opposer au projet ne serait-ce pas « tuer le père » ? Le projet a été remis au goût du jour en 2000 par Jean Marc Ayrault dans sa logique de redynamiser la ville et surtout l’île de Nantes, « polluée » par les avions atterrissant à Nantes Atlantique. Poursuivre le projet de l’aéroport, qui soulignons le n’est pas vu comme la construction d’un nouveau site mais bien le transfert d’un site à un autre, est bien la continuation de cette politique de la ville qui a fait de Nantes une des villes les plus agréables de France. S’opposer au projet serait alors mettre un frein également à cette politique dynamique que les élus de la région veulent étendre plus largement au grand Ouest.

Dans un autre texte, toujours sur son site de campagne[3], Christophe Clergeau rappelle un fait qui résume peut-être la position complexe des élus locaux sur ce dossier : « […] ce projet est celui de l’Etat. Et si le Conseil régional le soutient, il n’y consacre que 0,5% de son budget d’investissement sur une mandature. »

Les élus sont bien pris entre les deux feux de la volonté verticale de l’Etat qui, sous couvert de maintien de son autorité en des temps plutôt contestataires et de montée des populismes, veut à l’instar de Manuel Valls que le projet se fasse pour des raisons plus symboliques qu’économiques ou d’aménagements ; et le feu de l’opposition des habitants et des militants qui non seulement contestent cette volonté lointaine étatique mais exige que les décisions reviennent bien plus aux élus locaux ou alors à une autre forme de gouvernance territoriale.

Il n’empêche que les conflits s’enveniment, et ainsi les élus Europe-Ecologie-Les Verts, tant au conseil municipal de Nantes que ceux qui candidatent pour les élections régionales, refusent de s’allier au P.S à cause de cet obstacle de l’aéroport. Au niveau national comme régional, les Ecologistes sont, depuis le début de l’affaire, opposé à ce projet. C’est assez remarquable quand on connaît l’histoire interne mouvementée de ce mouvement politique. Cela met bien sûr la majorité actuelle dans une situation pré-électorale difficile, face à une droite tout aussi divisée.

En effet, si le parti Les Républicains n’a pas de position nationale claire, le candidat aux élections régionales Bruno Retailleau, sénateur de Vendée a une position tout aussi floue. Il s’élève surtout contre le ZAD et les Zadistes qui pour lui bafouent l’autorité de l’Etat. Son discours électoral porte sur cet argument : avant de construire quoique ce soit, il faut évacuer la ZAD qui est un espace de non-droit et de contestation violente de l’Etat de droit. On voit ici un glissement dans le discours des élus (ce thème étant également présent dans le discours de M. Clergeau) à savoir que les élus représentent l’Etat mais que celui-ci doit savoir se faire respecter par lui-même. Ainsi, dans une lettre ouverte adressée à François Hollande le 11 octobre 2015, il écrit : « Car ce qui est en jeu à Notre Dame des Landes, ce n’est pas seulement la construction d’un aéroport et le développement économique de toute une région. Ce qui est en jeu à Notre Dame des Landes, c’est la suprématie de la loi de la République sur la loi de la jungle. »[4] Il termine sa lettre, non pas en demandant, comme le promet par ailleurs le Premier ministre le début des travaux de construction, mais bien en exigeant de l’Etat de faire son devoir de maintien de l’ordre et du droit, au risque de faire preuve de faiblesse et de renoncement. Les dernières phrases énoncent une France qui ne saurait se défendre et une angoisse de ses habitants ! Ce discours alarmiste et jouant sur la peur, sans qu’aucune réalité de terrain ne soit véritablement mise en avant, n’est pas sans rappeler le discours général du parti Les Républicains. On peut donc se demander à quel point le sujet de Notre Dame des Landes n’est pas totalement instrumentalisé par les élus ?

La situation des élus d’extrême gauche n’est pas moins évidente. L’exemple le plus frappant est le cas du PCF (voir Annexe 5), qui joue là cavalier seul face au Front de Gauche. Le mouvement national a toujours soutenu le projet, mais localement la section de Loire Atlantique n’est pas aussi claire. Ainsi, plusieurs adhérents locaux ont démissionné du Parti en raison des prises de positions en faveur du projet, comme par exemple Yves Ardil après la manifestation de 2012 :

« J’étais, comme grand nombre de communistes, opposé au projet de Notre Dame des Landes et présent à cette manifestation. Depuis 40 ans que je suis sur Nantes, je n’ai jamais vu autant de forces de l’ordre dans les rues, et je n’ai jamais vu d’interdiction pour une manifestation de passer dans les rues principales.

Traiter les opposants de Notre Dame d’opposants violents est insupportable. Comment un responsable du PCF peut-il avoir une telle analyse complètement déconnectée de la réalité ? Comment un dirigeant du PCF peut-il minimiser l’ampleur de la mobilisation pacifique opposée au projet d’aéroport. »[5]

Il s’adresse là à Aymeric Sesseau qui avait condamné, comme beaucoup, les violences qui avaient entaché la manifestation nantaise. Son analyse, dans sa lettre de démission, pointe les incohérences entre le discours de son Parti et la réalité d’une politique tant nationale que locale qui contribue à augmenter les inégalités. Encore une fois, l’aéroport de Notre Dame des Landes est un instrument dans ce discours politique à usage interne et national :

« Pour notre département, le déplacement de l’aéroport aggravera le déséquilibre de diversité de l’emploi entre le nord et le sud du département.

Le sud Loire deviendra un dortoir et les salariés seront obligés de passer des heures dans les bouchons pour se rendre à leur travail. Il serait préférable d’investir sur le développement de l’aéroport existant et de rénover la ligne ferroviaire pour rendre l’aérogare et la gare de Nantes reliée. »

Au final, on constate que la position des élus et des collectivités locales sur le dossier de Notre Dame des Landes est complexe car il elle s’articule autour de plusieurs nœuds :

  • la coïncidence difficile des positions collectives et des positions individuelles
  • l’influence des lignes nationales des partis politiques
  • les jeux des alliances politiques en fonction de la temporalité électorale
  • l’instrumentalisation politique du sujet
  • la défense d’une vision « politicienne » de l’intérêt général
  • une défense ou non de l’aménagement du territoire en terme de progrès économiques

[1] http://clergeau.com/

[2] http://clergeau.com/notre-dame-des-landes-deux-visions-de-lavenir-de-louest/

[3] http://clergeau.com/notre-dame-des-landes-je-choisis-la-clarte/

[4] http://www.presseocean.fr/actualite/politique-bruno-retailleau-lr-ecrit-une-lettre-ouverte-a-hollande-11-10-2015-172428

[5] http://npa44.org/2014/03/02/demission-au-pcf-44-traiter-les-opposants-de-notre-dame-des-landes-dopposants-violents-est-insupportable/


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2 commentaires sur “Notre Dame des Landes : les élus locaux entre deux feux.

    1. c’était la condition d’un travail universitaire… mais j’avoue que ce ne fut pas facile de le rester, surtout quand j’ai commencé à mettre le nez plus profondément dans ce labyrinthe politico-financier !

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