Christophe André, le célèbre psychiatre qui sait mêler philosophie, psychologie et méditation, parle souvent dans ses livres de « ressasser ». Il s’agit de cette activité, au combien improductive et néfaste, qui consiste au quotidien à remâcher, à nous repasser sans cesse les mêmes choses dans la tête, à nous faire le film, à le refaire sans arrêt et continuellement à ne repasser que les mauvaises scènes, les pires souvenirs.
C’est ce qui m’arrive en ce moment. Je ressasse. C’est pire que la prison parce que je suis mon propre geôlier. Je ressasse les conditions actuelles qui me font douter de moi. Les attaques dont je fais l’objet depuis plusieurs mois et qui me déstabilisent, qui me font souffrir et qui minent mon moral. Harcèlement ? Sans doute. Mais avant d’agir il faut apprendre à se défaire. J’ai perdu, en peu de temps, tout le tonus et l’allant qui me rendaient heureuse. Je suis mal à l’aise, à l’étroit, sans pouvoir jamais être moi-même. Alors je ressasse. Je repasse en revue ce qui a été dit, ce qui aurait pu être dit. J’interprète chaque parole, chaque geste, chaque regard. Je transforme le présent en passé douloureux et en avenir angoissant. Je ne suis plus capable de vivre parce que ces choses-là prennent toutes la place dans mon esprit.
Comment fuir ? Ce qui est caractéristique de ce genre de situations psychiques, c’est l’enfermement qu’elles induisent. Les pensées sont toutes petites, toutes concentrées sur un point, le plus douloureux, le plus tortueux. On ne voit les choses que par ce minuscule bout de la lorgnette et on oublie le reste du monde, tout l’univers, la vie et la Joie qui sont pourtant toujours là. Ce qui me rend particulièrement en colère, contre moi mais aussi contre ce mental qui nous mine, c’est à quel point il est facile de perdre de vue l’immensité de l’Etre pour ne se focaliser que sur ces bribes insignifiantes de nos vies. Pourquoi la douleur, les mots blessants, les doutes sont-ils plus forts que l’amour, l’amitié ou la joie ? Je ne le sais toujours pas. La psychanalyse nous répond, et je pense qu’elle a raison parfois : nous sommes les esclaves de traces mnésiques qui se sont imprimées, jeunes, dans nos cerveaux. Nos faiblesses, en particulier face aux autres, sont les résidus de nos petites déconvenues d’enfant. Par contre à l’âge adulte, elles peuvent prendre des proportions dantesques, ce qui me fait vivre aujourd’hui un enfer.
Alors il faut essayer de regarder plus loin. D’élargir l’horizon. De retrouver le calme du souffle et l’instant présent, celui qui vibre dans tout notre être. Ressasser ce n’est pas vivre ici et maintenant. Ressasser c’est avoir des œillères. Il faut retrouver la vue large de l’esprit tranquille. Je pense l’avoir retrouvé dans les pages d’un livre de Deshimaru, le maître zen…