Bien qu’ayant beaucoup étudié l’histoire, et surtout l’histoire ancienne et médiévale, je ne suis pas fan des romans historiques. En fait c’est sans doute lié. Quand j’étais étudiante, je m’amusais à trouver dans les films historiques les anachronismes, surtout dans les costumes. Dans les livres c’est à peu près la même chose : je cherche et souvent je trouve les lourdeurs stylistiques, formelles, des auteurs qui cherchent davantage à « étaler leur science » chèrement acquise qu’à contenter le lecteur. Tout le monde n’est pas Alexandre Dumas. C’est pour cela que je ne lis pas les romans best-sellers des Christian Jacq et autre Max Gallo. C’est mal écrit, c’est ma tourné, les histoires ne sont pas originales. A la rigueur je peux passer un été avec Ken Follett, et quand j’étais jeune, j’en ai passé un, merveilleux, avec tous les tomes des Rois Maudits de Maurice Druon. Tout cela pour dire qu’écrire des romans historiques cela demande un vrai talent d’écrivain, et d’historien.
C’est pour cela que quand j’ai découvert par un heureux hasard, dans ma médiathèque, Jean d’Aillon, et que j’ai dévoré le dernier volet des tumultueuses aventures du chevalier-troubadour Guilhem d’Ussel, je me suis dit que j’étais tombé sur une pépite. Déjà car l’auteur est inconnu, en tout cas il l’était pour moi. Depuis j’ai découvert sur les réseaux sociaux qu’une bande de fans, dont je fais à présent partie, s’est constitué autour de cet auteur, retraité de l’enseignement supérieur pour se consacré à l’écriture. L’autre élément extraordinaire c’est la production pour le moins gargantuesque de Monsieur Jean, comme on dit ! Ce ne sont pas quelques volumes, mais bien des sagas entières, de gigantesques sagas, avec des préquels, des spin-offs, des dizaines de volumes, et ce, à différentes époques de l’histoire de France. J’ai continué, un peu à l’envers il faut dire, la saga de Guilhem, qui à ce jour compte 10 tomes. J’ai débuté également la trilogie sur la Guerre des Trois Henri. Je laisse pour plus tard les aventure de Fronsac au XVIIe siècle.
Ce qui est remarquable dans l’œuvre de Monsieur Jean c’est la précision de sa documentation qui jamais n’alourdit l’histoire. On sent bien la profondeur de ses recherches, des détails qu’il va sans doute trouver directement dans les archives. L’historienne que j’ai été le remercie pour ce travail de fourmi. Ses histoires traitent de la grande Histoire, comme pouvait le faire Dumas, mais il part toujours d’un détail historique véridique, qui lui permet de raccrocher la fiction dans une vision plus large. J’aime aussi ses clins d’œil facétieux à la littérature populaire. Ainsi, l’un des personnages principaux de la série de Guilhem d’Ussel est son meilleur ami, qui n’est autre que Robert de Locksley, c’est-à-dire Robin des Bois. L’auteur à l’intelligence d’intégrer son propre imaginaire dans une légende centenaire sans jamais en dénaturer la logique. En effet, comme toujours dans les contes de fée, on ne sait pas ce que le héros et sa belle deviennent une fois les méchants vaincus. « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » nous laisse souvent sur notre faim. Robin des Bois ne fut peut-être pas si heureux que cela après le retour de Richard Coeur de Lion !
Jean d’Aillon possède un réel sens du détail et on sent sa passion pour les costumes anciens et aussi les armes. Les descriptions des villes et des situations historiques peuvent parfois nous sembler lourdes, mais ces pages sont nécessaires pour comprendre le contexte dans lequel l’histoire prend forme. J’ai été totalement subjuguée par exemple par la précision des détails concernant la Rome médiévale, à tel point que je suis moi-même allée faire des recherches. Je n’avais jamais eu conscience de l’étrangeté pour les romains du XIIe siècle, de vivre au milieu des ruines d’une civilisation qu’ils avaient oubliés. Un peu comme dans un film post-apocalyptique où on verrait les ruines de la Tour Eiffel sans savoir vraiment ce que c’était.
Enfin, les livres de Monsieur Jean sont de véritables « pages turner » car il maîtrise le suspense et les rebondissements. On pourrait dire que ses livres sont des romans policiers, mais je trouve que c’est réducteurs. Nous ne sommes pas face à Frère Cadfael ou Nicolas Le Floch. Il y a de l’action, des énigmes, des meurtres, mais pas que. On voyage aussi, de Marseille à Paris en passant par Rome ou Rouen. On entre dans l’intimité de la Saint Ligue Catholique. L’Histoire n’est pas qu’un prétexte ou qu’un décor, c’est la raison même de l’écriture de l’auteur. Il faut vivre le Moyen Age et en même temps nous permet de passer un très bon moment en suivant les aventures épiques de héros attachant.
Comment mesurer le degré de réussite d’un romancier ? Au nombre de ses lecteurs ? A leur attachement à l’auteur ? A sa capacité à susciter l’envie de lire ? Petite anecdote : l’homme qui partage ma vie n’est pas un grand lecteur (tout le monde ne saurait être parfait !), mais il apprécie les romans historiques. Je lui ai mis dans les mains le premier volumes de Jean d’Aillon qui était entré chez nous, Rouen 1202 trouvé à la médiathèque. Je lui ai juste dit que cela pourrait lui plaire. Et bien je l’ai rarement vu aussi assidu dans une lecture, le soir et même en journée, le nez dans le livre assis sur le canapé. A tel point que c’est lui qui a acheté les premiers volumes de la série pour, dit-il, « lire la saga dans le bon sens ! ». Voilà sans doute le plus bel hommage qu’un auteur puisse recevoir.