J’habite à quelques kilomètres seulement de Notre Dame des Landes. A cinq kilomètres à vol d’oiseau ! Je suis totalement contre ce projet d’aéroport. Quand je suis arrivée dans la région il y a six ans, je m’étais installée sur la presqu’île de Guérande et j’ai tout de suite entendu parlé de ce projet. N’étant pas de la région, je n’ai pas pris position, mais des personnes autour de moi étaient très impliquées dans l’opposition militante. J’ai donc très vite été au courant de ce qui se passait sur place, à la ZAD. J’ai participé également à plusieurs moments festifs, en été. Puis j’ai déménagé, quittant le littoral pour la « terre », entre Nantes et Saint Nazaire. J’ai découvert un petit coin de campagne très agréable et étonnement plutôt préservé malgré une pression urbaine, industrielle et routière très forte. Nous sommes au cœur de ce que l’on nomme aujourd’hui la métropole de Nantes Saint Nazaire, qui compte plus de 1 million d’habitants. C’est l’estuaire de la Loire, où se côtoient la voie ferrée TGV qui va jusqu’au Croisic, la nationale à 4 voie, le RN 165, la centrale électrique de Cordemais, la raffinerie de Donges, le port de Montoir, la zone industrielle d’Airbus qui rejoint le port de Saint Nazaire avec les chantiers navals de STX ! Franchement, c’est beaucoup, et pourtant, on arrive à trouver de petits espaces préservés, de nature tranquille… c’est ainsi à Notre Dame des Landes. Avec en plus, ce petit côté mystérieux d’une zone humide où les matins d’hiver voilent d’une brume opaque les champs, où l’habitat dispersé ne se remarque pas, où les claires nuits d’été on peut se perdre sans trop de difficulté ! C’est assez étonnant que ce soit ce lieu aussi magique qui ait été choisi pour être bétonné !!
Avant de venir dans la région, j’ai habité 20 ans en région parisienne, dans le Val d’Oise, à 30 minutes à vol d’oiseau de l’aéroport Charles-de-Gaulle. Je peux vous assurer que les avions, on les voit et on les entend. Aussi, quand j’entend des pro-aéroports de NDDL me dire que les avions ne feront pas de nuisance… je m’esclaffe. Dans le ciel du nord de la Loire on ne voit passer que le Beluga, l’avion d’Airbus qui fait plusieurs rotations quotidiennes entre l’Allemagne ou Toulouse. Il atterrit à Saint Nazaire, c’est-à-dire à 30 kilomètres de chez moi, et bien on l’entend et on le voit, tout comme sous les couloirs de Roissy ! Alors, un aéroport de classe internationale à 5 kilomètres de chez moi… non merci !
Mais outre ce phénomène « not im my backyard », j’ai constaté que ce sujet de l’aéroport cristallisait les oppositions sur deux thèmes différents. En fait, j’ai fait une recherche dans le cadre de ma reprise d’étude à l’Université d’Angers, sur les rapports qu’entretiennent les élus locaux et les collectivités territoriales avec le projet. J’ai rédigé un dossier qui est en cours de validation.
Ce que j’ai constaté tient en deux grandes idées.
Tout d’abord ce projet, ancien comme on le souligne depuis très longtemps, est somme toute un projet urbain qui se fiche pas mal du rural. Né dans les années 60, en pleine gloire de la ville toute puissante, et d’une image de la campagne ringarde et attardée, espace de l’exode rural, le projet de l’aéroport n’est qu’une extension de l’urbanisation de la ville de Nantes. Quand il a été réactivé au début des années 2000 par le maire Jean Marc Ayrault, il faisait partie du vaste plan de régénération urbaine d’une ville en déclin. Ce plan a fonctionné a merveille, puisqu’aujourd’hui Nantes est considéré (par les parisiens ?) comme la ville la plus agréable de France. Et c’est vrai que cette rénovation, fondée en grande partie sur la culture, la création, a permis à la ville de proposer à ses habitants un territoire urbain à taille humaine. Dans ce vaste plan, toujours inachevé, la pièce maîtresse en était la reconversion de l’Île de Nantes, dévolue auparavant aux chantiers navals, en quartier créatif, culturel et à fort potentiel foncier ! C’est aujourd’hui ce qui s’est développé autour du quartier des Olivettes, des Machines de l’Île, du Stéréolux… Mais il y a un hic… le hic des avions qui font leur tours de piste avant d’atterrir à Nantes Atlantique juste au-dessus de ces quartiers en voie de gentrification, ou pour parler plus simplement, de ces quartiers Bo-Bo où le foncier de vient de plus en plus cher et où il fait mauvais genre de voir passer des avions au-dessus des têtes de ceux qui ont payé des centaines de milliers d’euros pour venir habiter un quartier culturel ! Ça fait tâche… Sauf que, comme l’on montré des études sur l’actuel aéroport de Nantes, il suffit juste de construire une autre piste, non plus nord-sud comme aujourd’hui, mais est-ouest, et les Bo-Bo nantais pourraient dormir tranquilles ! C’est sûr, installer des avions bruyants et polluants dans une zone rurale, on s’en fout, les paysans n’ont qu’à partir, les avions ne dérangerons pas grand monde, et ça leur apportera des emplois !
Sauf que, sauf que, la campagne aujourd’hui ce n’est plus celle des années 70. Ce n’est plus celle de l’exode rural mais bien plutôt un espace de renouveau, comme l’on montré en 1996 Bertrand Hervieu et Jean Viard dans leur petit livre « Au bonheur des campagnes ». Pour ces auteurs, les valeurs se sont inversées : la campagne synonyme d’immobilisme, de réaction, d’ennui opposée à une ville où on trouverait liberté et plaisirs est devenue une campagne où la nature est belle, apaisée et digne d’être protégée, où on peut être vraiment libre et où il y a toujours quelque chose à faire. Au contraire, la ville est devenu l’image des nuisances, de la pollution, du stress, de la violence.
Il me semble que le projet de NDDL est en plein cœur de cette problématique : une opposition totale entre deux visions de l’espace et, toujours de mon point de vue, une vision passéiste de ceux qui sont pour le projet, d’une ville souveraine supérieure à la campagne ; et une vision plus moderne ou du moins actuelle de ceux qui se battent contre le projet avec au cœur non seulement la préservation de la nature mais aussi le développement d’un nouveau mode de vie. S’il n’y avait que des paysans pour s’opposer au projet, cela ferait longtemps qu’il aurait été construit ! Depuis très longtemps les paysans ont été rejoint par les « néo-ruraux » dont je fais partie, et qui se sont installés dans ce petit coin de campagne, un peu loin de la ville mais pas trop, pour fuir les nuisances et retrouver un autre cadre de vie. Dans cette vision du monde et de la vie, construire un aéroport juste là est une totale aberration ! La campagne est devenu un paysage, où on peut vivre et qu’il faut entretenir, ce n’est plus seulement un lieu de production (agricole). Comme l’écrivent Hervieu et Viard : « Mais pour demain, c’est certainement la campagne paysage dont il faut faire le moteur des stratégies et le moteur des rencontres entre les intérêts des uns et ceux des autres. Car cette campagne paysage renferme la valorisation des productions par l’amour que l’on porte aux lieux […] »
Ma seconde théorie, je la développerai dans un second billet… car sur internet il ne faut pas trop en écrire à la fois, les lecteurs se lassent 😉