Ecoutez nos Défaites. Je reste dubitative. Je ne suis pas une grande lectrice de Laurent Gaudé, j’ai peu lu de lui. Je connais son oeuvre car elle est très appréciée par mes collègues qui enseignent le français et la littérature, puisque c’est une oeuvre riche et contemporaine. Gaudé est un voyageur, un passeur entre Orient et Occident, et c’est cela surtout qui m’intéresse.
Dans ce roman de la rentrée 2016, j’ai apprécié le propos, quasi philosophique, qui porte une vraie puissance littéraire : celui non pas de l’échec qui reste ponctuel, mais de bien de cette tragédie qui est celle de toutes nos vies. Car au final, Bisogna Morire, nous devons tous mourir. Ce fond peut paraître banal et éculé et je trouve que les personnages principaux, actuels, pris dans les mailles du filet de l’actualité brûlante des guerres, des attentats, des assassinats politiques (Ben Laden par les Américains, Khadafi par les Français) sont au croisement de ces questions.
Par contre, je n’ai pas du tout aimé la polyphonie de la narration où la fiction des trois personnages contemporains est entrelacée avec l’(H)histoire de trois personnages historiques, Hannibal, le Général Grant et le Négus. Ces derniers sont des hommes qui gagnent des batailles, que ce soit dans un champ, près du ville ou à la SDN, mais au final sont des « loosers » comme on dirait en langage familier. Ils ont perdu à la fois devant l’Histoire et surtout à leurs propres yeux. Ce que je n’ai pas aimé c’est moins le procédé narratif qui constitue à enchaîner les paragraphes sur eux, que le peu de matière et la redondance à la fois historique et philosophique de ces passages. La linéarité est, pour le coup, un point faible car même si les histoires s’entrecroisent, on reste dans une description chronologique et avec un seul point de vue. C’est fade, monotone et leurs lourdeurs fictionnelle et narrative m’ont poussé à passer de nombreux paragraphes. Pourtant, j’aime bien la polyphonie, quand elle est maîtrisée, par exemple dans le Confiteor de Jaumé Cabré. Je me suis donc concentrée sur l’histoire d’Assem et Myriam, une histoire d’amour improbable, de corps enlacés sans possibilité de retrouvailles, de maladies incurables, et aussi celle de Job. Ces histoires sont à mon sens la force du roman car elles sont totalement contemporaines : on a l’impression de pouvoir les imaginer dans un reportage de télévision. D’ailleurs on a vu les images qu’elles dépeignent : Abottabad au Pakistan, la Libye en guerre, les ruines de Palmyre menacées, les destruction du musée de Mossul. Elles décrivent aussi des tragédies plus prégnantes comme la destruction de ces vestiges archéologiques millénaires. Elles posent cette question qui me taraude depuis les attaques de Daesh : une vie humaine peut-elle avoir plus de valeur qu’un objet archéologique qui a traversé le temps ? Pour moi la réponse est clairement non, et c’est d’ailleurs ce que réponds l’héroïne, archéologue : une vie humaine n’est rien comparée à la puissance que recèle quelques grammes d’une terre moulée il y a des milliers d’années, d’une statue travaillée durant l’Antiquité. J’avoue, je pleure bien plus devant les explosions des ruines de Palmyre, ce spectacle est même pour moi intolérable, que devant les enfants qui meurent sous les bombes à Alep ! Une pointe de honte m’afflige, mais je n’y peut rien…
En fait, je trouve que le roman aurait gagné en force si l’auteur n’avait raconté que l’histoire d’aujourd’hui, ou alors s’il avait présenté les (H)histoires autrement que de cette façon linéaire. La densité du propos est je trouve amoindrie. Les hésitations de l’Histoire, qui résonnent dans les actes et les non-actes des différents personnages, nous rappellent qu’elle est faite par les Hommes mais aussi par le Hasard qui fait descendre une brume bienveillante sur un champ de bataille ou qui donne un coup de pouce à un être médiocre. Ces hésitations, il faut pouvoir aussi les sentir dans sa propre vie, quand on se trouve aux croisements de deux chemins ou bien quand on sent que l’on bascule vers une vie ou une autre. Nous sommes maîtres de nos propres choix, certes, mais nous sommes aussi conditionnés, nous ne sommes pas libres et selon moi, le libre-arbitre est une sacrée illusion religieuse ! Il faut savoir se pardonner et être capable de ne rien regretter, si on se souvient à chaque instant que nos choix ont été pris dans telles conditions psychologiques et dans tel environnement. C’est à ce prix que l’on sera à même d’écouter nos défaites.
J’ai lu ce roman dernièrement et même s’il m’a moins plu que d’autres oeuvres du même auteur, j’ai un avis un peu plus positif, mais loin d’être dithyrambique. Je l’ai trouvé un peu opportuniste et contrairement à toi, je me suis plus attachée aux héros de l’Histoire qu’aux personnages fictifs que j’ai trouvés assez fades.
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En fait j’ai trouvé que les passages sur les personnages historiques étaient trop longs : cela avait un intérêt pour le message du livre, le tragédie de la vie, mais j’ai eu la sensation de lire des biographies pas très bonnes en plus ! Mais c’est intéressant que les avis soient partagés, cela veut dire que le livre ne laisse pas indifférent !
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