Dans ce jardin qu’on aimait – Pascal Quignard

Pascal Quignard Dans ce Jardin qu'on aimaitLe nouveau livre de Pascal Quignard est un livre sur un musicien. Encore un. Son chef d’œuvre, Tous les Matins du Monde, portait déjà sur la vie d’un musicien, M. De Sainte Colombe et de Marin Marais son élève au début du XVIIe siècle, et il est devenu un film à succès du box office français. La musique semble être un thème important dans l’œuvre de Quignard. Comme la musique est également une passion essentielle dans ma vie, quand j’ai vu ce titre, Dans ce jardin qu’on aimait, comme partenariat sur NetGalley, je n’ai pas hésité.

Synopsis

Le révérend Simeon Pease Cheney est le premier compositeur moderne à avoir noté tous les chants des oiseaux qu’il avait entendus, au cours de son ministère, venir pépier dans le jardin de sa cure, au cours des années 1860-1880.
Il nota jusqu’aux gouttes de l’arrivée d’eau mal fermée dans l’arrosoir sur le pavé de sa cour.
Il transcrivit jusqu’au son particulier que faisait le portemanteau du corridor quand le vent s’engouffrait dans les trench-coats et les pèlerines l’hiver.
J’ai été ensorcelé par cet étrange presbytère tout à coup devenu sonore, et je me suis mis à être heureux dans ce jardin obsédé par l’amour que cet homme portait à sa femme disparue.

« Un pasteur américain, en 1860, a noté les sons que les gouttes de la pluie faisaient retentir sur l’herbe et les petits sentiers de graviers du jardin de la cure. Il transcrit des mois durant, des saisons durant, des années durant, tous les chants des oiseaux qui viennent y nicher, se percher dans les branches, se dissimuler sous les feuilles des arbres. »

Dans l’introduction de son ouvrage, l’auteur nous précise que le seul compositeur à s’être inspiré de cette musique étrange des sons naturels fut Antonin Dvorak qui composa un quatuor à cordes, le n°12, en prenant des « notes » des oiseaux qui peuplaient les arbres et les roselière du révérend Cheney. C’est donc peu dire que le vénérable ecclésiastique n’eut que très peu d’audience. C’est en particulier ce que rapporte le court ouvrage : c’est la fille du Révérend, Rosemund, vieille fille professeure de chant, de piano et de violoncelle, qui publia à titre posthume les pages et les portées que son père avait noircit en transcrivant les sons quotidiens qu’il entendait dans son jardin, dans sa maison, dans sa tête.
Ecoutez les premières notes du quatuor de Dvorak, et vous entendez bien les oiseaux qui pépillent. C’est la musique naturaliste, celle qui avait déjà été mise à l’honneur par exemple par Vivaldi.

 

Une histoire d’amour qui a mal tourné

Mais en fait le livre de Pascal Quignard n’est pas un livre de musique ou même un livre de musicien. On entend très peu les sons. C’est avant tout un livre d’un amour figé par la mort, celui que le révérend Cheney portait et porte toujours, jusqu’à sa propre extinction, à son épouse chérie, Eva Rosalba, morte en couches à 24 ans en donnant naissance à sa fille Rosemund.
Durant leur mariage très court, la jeune épousée passait son temps dans son jardin, le jardin de la cure, qu’il vente, qu’il neige, elle était toujours dehors. Pour honorer la mémoire de sa défunte, Cheney décide de passer aussi du temps dans le jardin et surtout d’y écouter les sons, les bruits qui lui rappellent son amour perdu.
La fille née de cet amour, le révérend la chasse une fois adulte, car elle lui rappelle trop sa mère, qui elle n’a pas survécu. Elle devient professeure de musique. La vie du révérend tourne alors autour de deux obsessions : son épouse morte et la musique qu’il écrit et qu’il tente de faire publier, sans succès.

Entre poésie et théâtre

Voilà pour l’histoire, la trame. Mais ce n’est absolument pas le plus important dans le livre de Pascal Quignard. Le plus important et le plus déroutant est la forme. Le livre est court, 170 pages. Ce n’est pas à proprement parler un roman, c’est plutôt un livre qui déambule entre la poésie, le théâtre et le scénario. Les chapitres sont en réalité des scènes, avec très peu de personnages, dont le révérend Cheney, sa fille, le fantôme de sa femme et un récitant. Le passage des dialogues entre chacun des personnages n’est pas évident à suivre pour le lecteur. D’autant plus que le style est très poétique :

« Elle a relevé ses cheveux sous le chapeau de paille.

Au bout du jardin,
là où croissent les saules, les coudriers mêlés d’aubépine,
là où les pieds trébuchent dans les menthes,
à un mètre ou à un mètre et demi de l’étang,
en présence de la famille,
a été versé l’urne.

Dans l’étang,
il a jeté sa femme.
L’époux a fait couler doucement sur l’eau les cendres de celles qu’il aimait,
il a versé son regard,
il a répandu son souffle,
il est monté sur le canot arrimé par une chaîne à la rive,
en élevant sa main il a éparpillé sa vie encore tiède, son corps encore presque intact sur la surface grise au-dessus de l’eau sombre,
près de la rame noire. »

La forme peut être très décourageante, très difficile à aborder. Ce fut le cas pour moi. Au final, je ne saurais dire si j’ai aimé ou non ce livre, petit et étrange, parcouru d’une mélancolie dépressive et d’une tristesse profonde. La mort, l’abandon, la solitude sont bien plus présentes que la musique, la joie qu’elle peut procurer, la sensibilité qu’elle amorce. De toute façon, ce livre fait partie d’une œuvre plus large que ce simple moment de littérature et il est à considérer dans cette globalité, celle d’un homme qui écrit et qui construit petit à petit sa propre musique.


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2 commentaires sur “Dans ce jardin qu’on aimait – Pascal Quignard

    1. 😉 c’est pour ça que j’ai mis cet extrait, assez représentatif de tout le livre… c’est spécial et assez dérangeant, ce qui est le propre d’une oeuvre intéressante. C’est aussi pour cela que j’ai voulu lire jusqu’au bout.

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