La Servante Écarlate de Margaret Atwood

Dans le cadre d’une Lecture Commune sur le site Livraddict, j’ai décidé de lire avec d’autres la Servante Écarlate de Margaret Atwood. Cela faisait longtemps que ce roman d’anticipation était dans ma PAL et depuis quelque temps on entend beaucoup parler de ce livre. Il a été adapté à la télévision pour une série que je n’ai pas encore regardée, mais qui semble avoir du succès, du moins pour la saison 1. C’est aussi un livre qui a fait le buzz ce printemps quand l’actrice et militante féministe Emma Watson en a abandonné plusieurs exemplaires en français, dans les rues de Paris, livres voyageurs et vagabonds pour diffuser ce qu’elle considère comme un message important. Cette effervescence autour d’un livre publié aux États-Unis en 1985 a fait reparler du roman qui est considéré donc comme une dystopie féministe. Je suis d’accord pour dystopie, par contre je ne pense pas que ce roman soit féministe ! Je vais vous expliquer pourquoi.

Synopsis

Dans un futur peut-être proche, dans des lieux qui semblent familiers, l’Ordre a été restauré. L’État, avec le soutien de sa milice d’Anges noirs, applique à la lettre les préceptes d’un Évangile revisité. Dans cette société régie par l’oppression, sous couvert de protéger les femmes, la maternité est réservée à la caste des Servantes, tout de rouge vêtues. L’une d’elle raconte son quotidien de douleur, d’angoisse et de soumission. Son seul refuge, ce sont les souvenirs d’une vie révolue, d’un temps où elle était libre, où elle avait encore un nom.

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Quand on lit ce roman on ne peut pas ne pas penser à tous les grands romans de science-fiction sur les mondes totalitaires qui nous proposent une image angoissante de ce que pourrait être notre futur. 1984, Le Meilleur des Mondes, Fahrenheit 451. Pour moi la Servante Écarlate m’a surtout fait penser au roman de Bradbury, dans cet aspect du quotidien qui est décrit et qui est oppressant. Mais je trouve qu’il n’en a absolument pas l’envergure, tant philosophique que fictionnelle.
La Servante Écarlate est un récit, un récit qui comporte très peu de dialogues et donc d’interactions entre les personnages. Il est le récit d’une femme, dont on ne connaît pas le vrai nom, mais qui se fait appeler Defred, parce qu’elle sert un homme ou Commandant, appelé Fred. Mais ça on ne le sait qu’à la fin. C’est une Servante, c’est-à-dire qu’elle sert la communauté en donnant son corps, un corps jeune et qui a déjà enfanté, pour être la matrice d’enfant de couples qui eux n’ont pas encore engendré.
Le roman se distribue autour de deux époques, un Avant et un Après, en des flash-back qui s’intègrent dans la trame du récit. L’avant ce sont les années 80, celles de la liberté, cette époque qui est encore la nôtre, où les femmes sont libres de travailler, de gagner de l’argent, libres de disposer de leurs corps grâce à la contraception et l’avortement. L’Après, et bien on ne sait pas trop ce que c’est : c’est une époque totalitaire, mise en place de façon brutale, après une catastrophe qui n’est jamais évoquée. Ce régime totalitaire est fondé sur le fanatisme religieux pour contrer d’autres fanatismes religieux : ceci est à peine évoqué dans une phrase dans tout le roman ! C’est le grand reproche que je fais à ce livre, c’est qu’à aucun moment il n’y a vraiment de description de ce monde oppressant et de terreur, où l’on est tué pour hérésie, pour avoir fumé, parce qu’on n’est pas une vraie Femme, c’est-à-dire soit une Épouse soit une Reproductrice. À plusieurs reprises est évoquée une guerre, mais on n’en apprend pas plus. Des Colonies sont également présentées comme des lieux de damnations où les réprouvés du régime meurent à petit feu en réalisant des tâches mortelles, comme nettoyer des zones radioactives… mais on ne sait jamais ni pourquoi, ni quand, ni comment. Le roman nous parle d’une société totalitaire et théocratique, mais à aucun moment l’auteure n’approfondit ce contexte, ni d’un point de vue philosophique encore moins politique. C’est ce qui, à mon sens, fait la force des romans comme 1984 et Fahrenheit 451 : le background, le pourquoi et le comment de l’oppression, et c’est la grande faiblesse de la Servante Écarlate. On aurait aimé en savoir davantage sur cette théocratie, dans un contexte nord américain où la religion a toujours eu un poids très fort, trop fort. Le livre aurait eu, aujourd’hui, une audience vraiment importante dans notre contexte contemporain où justement les pressions religieuses, fanatiques, réactionnaires sont de plus en plus importantes, en particulier sur les femmes. Il aurait été fascinant d’entendre la voix de cette auteure, d’il y a 30 ans, à une époque où ces questions semblaient résolues et derrière nous, alors que depuis quelques années on sent poindre, et pas que dans les régimes visiblement théocratiques mais bien dans nos démocraties, des relents de réaction religieuse.

Un récit autocentré et individualiste à l’image de la société contemporaine

Le personnage principal nous raconte sa vie, celle d’Avant où elle était mariée à un homme, Luke, qui a divorcé pour elle, et mère d’une petite fille. Sa vie d’Après est une vie monastique, au quotidien réglé au millimètre et à la seconde près. Elle se souvient de sa « formation » au Centre Rouge où des Tantes austères, maniant le bâton, apprenaient à ces femmes encore fertiles à devenir des Servantes. Elle se souvient de son amie Moira, de sa mère, des femmes libérées, qui militaient déjà avant pour les droits des femmes et qui, sous le régime théocratique, se retrouvent dans les pires situations. En fait, le livre est un ouvrage très autocentré, sur Defred, qui se plaint, qui hésite, qui ne veut pas oublier le passé, mais qui ne veut pas non plus prendre des risques pour retrouver sa liberté. En fait, le personnage de la Servante Écarlate est très effacé, ce n’est pas une rebelle, ce n’est pas Montag de Fahrenheit 451 qui bien que servant l’oppression arrive tout de même à autre chose qu’à la course inévitable du quotidien mortifère. On aurait aimé plus de profondeur psychologique de ce personnage, mais aussi de tous les autres. On aurait aimé des questionnements, des interrogations, des doutes. Ses seules interrogations, et j’exagère à moitié, sont de savoir si elle va pouvoir fumer une cigarette car c’est ce qui lui manque le plus de sa vie d’Avant. J’ai interprété cette caractéristique par l’époque de l’écriture du livre, les années 80, âge d’or de l’égocentrisme, de l’individualisme et de l’hyper individualisme : ce qui arrive à Defred est le signe des dysfonctionnements de sa société d’Avant. Elle est seule et donc fragile car elle vivait dans une société d’individus et non une communauté. Elle ne sait pas résister car on ne peut résister seul, il faut être un groupe, plusieurs, pour pouvoir se dresser contre la terreur. Elle en est incapable car elle ne pense qu’à elle ; les autres qui lui manquent sont uniquement des êtres qui pourraient pallier à sa solitude et pas constituer une force pou elle.

Ni résistance ni collaboration

À un moment donné, je me suis demandé si ce manque de relief et d’intérêt était voulu par l’auteure. En effet, je me suis dit que finalement, et justement au contraire de tous les standards de ce genre de littérature où au moins un personnage se rebelle, résiste, ce roman pouvait aussi nous montrer la réalité d’une vie dans une société totalitaire d’un point de vue d’un individu lambda. J’ai tout de suite pensé à la période de l’Occupation en France et de cette remarque que je me fais à chaque fois sur cette époque : ne jamais juger ce qu’on fait ou non les gens qui l’on vécut, car je ne sais pas du tout ce que moi j’aurais fait dans une telle situation. Defred est ce genre d’individu : ni résistante, ni collaboratrice, elle subit, elle est passive. Sa résistance finale (mais je n’en dis pas plus pour ne pas spoiler la fin du livre) n’est en fait pas vraiment de son fait, elle suit un mouvement, une voie de résistance, un groupe clandestin parce que sa compagne des commissions quotidienne en fait partie. Elle n’est jamais actrice, elle n’est jamais volontaire et c’est ce qui me fait dire que ce livre n’est pas un livre féministe. C’est un livre qui rappelle que les acquis des femmes ne sont pas du tout acquis, certes, mais il ne propose pas une trame, une réflexion sur ce que devraient faire les femmes pour assurer leurs libertés.

ATTENTION SPOILERS

Et ce qui m’a vraiment troublé et encore plus convaincu dans mon avis est la partie finale où la seule échappatoire que Defred trouve à sa triste et humiliante situation est… de tomber amoureuse et de coucher avec le chauffeur de la famille ! Sa résistance se trouve dans ses lamentations sur le fait qu’elle peut enfin retrouver dans les bras d’un homme, la vie et la sensation de l’amour. Et donc, si on résume le message du livre (de mon point de vue) : si les femmes sont oppressées, si on les réduit à des corps et à des matrices, la seule solution qui s’offre à elle est… l’amour ! Je ne trouve vraiment pas que cela soit féministe !

Un roman qui commence quand il finit

Durant la première partie du livre on s’ennuie, car le récit est en fait une série d’immenses descriptions qui ne sont jamais étayées par des explications qui permettraient au lecteur de se projeter dans le monde totalitaire. C’est à partir de la seconde moitié du livre que les évènements commencent à se précipiter et où il se passe des choses. Mais en fait, le roman se clôt là où l’histoire devient justement très intéressante ! Il faudrait presque une suite à la Servante Écarlate pour que l’on puisse savourer la puissance d’une fiction qui devrait pourtant nous interroger sur notre propre société. Je ne sais pas si je vais regarder la série télé, car j’ai peur de tomber dans les mêmes travers que le livre ou sinon, de voir une fiction qui n’a rien à voir avec le livre. Je comprends bien pourquoi, aujourd’hui, la Servante Écarlate refait surface, mais je me demande si la pauvreté de son message n’est pas justement le signe d’une époque qui ne sait plus réfléchir, qui n’est dirigée que par le pathos, l’émotion. Malgré toutes mes critiques, je pense qu’on peut lire la Servante Écarlate de Margaret Atwood, car c’est un roman contemporain qui parle de notre société contemporaine. Mais on n’en sortira pas bouleversé comme avec d’autres fictions dystopique. Mais je suis prête à discuter de cela avec vous, lecteurs et lectrices, si vous avez un autre point de vue que le mien !


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7 commentaires sur “La Servante Écarlate de Margaret Atwood

  1. Analyse intéressante ! Je n’ai pas encore lu le livre mais ça ne saurait tarder. Et au moins, je le commencerai avec quelques avertissement en tête 😛

    En tout cas, ton article est très intéressant ! Je reviendrai lire la partie Spoilers quand je l’aurais lu.

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  2. Amusantes lectures communes ! Je n’ai pas du tout eu le même ressenti et j’ai lu ta critique avec beaucoup d’intérêt.
    Le fait que rien ne soit vraiment explicite (ni les lieux, ni la date, ni les religions) contribue pour moi à faire de ce texte un avestissement universel. Comme je n’ai pas lu les autres livres dont tu parles (même pas 1984 …) je n’avais pas de comparaison en tête.

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  3. Entièrement d’accord avec votre analyse. D’ailleurs, lorsque J ai lu les dernières lignes du livre, je me suis précipité sur Internet pour connaître le nom du tome 2, et suis tombée des nues quand J ai compris qu’il n’y en avait pas!!
    Pour moi ce livre merite une suite car sinon il n’a aucun intérêt à être lu! Les 1ers chapitres posent l intrigue, ensuite on apprends à connaître le personnages et sa nouvelle vie, puis on nous apprends qu’un groupe de personnes tentent de se rebeller , puis bam, la fin avec ce final qui ne veut rien dire et n’explique rien… vraiment déçu, car J ai beaucoup aimé le lire mais il ne m’a rien apporté, hormis en effet, le questionnement sur nos acquis et sur notre avenir à tous!!

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