J’ai déjà expliqué dans ces colonnes que je n’avais pas vraiment apprécié le roman de Margaret Atwood, qui fait le buzz en raison de sa transcription en série télé, la Servante Écarlate. Je doutais surtout de ce que beaucoup affirmaient, à savoir que c’était un livre féministe.
En retournant après très longtemps sur la plateforme Netgalley, où je suis abonnée, j’ai pu obtenir la lecture d’un roman visiblement recommandé par Atwood. En tout cas son nom apparaît sur la couverture avec ce mot : «électrisant », comme si la nouvelle papesse de la science-fiction féminine était devenue une prescriptrice de bons romans. A priori, cela aurait pu me faire fuir, mais finalement je me suis plongée dans Le Pouvoir de Naomi Alderman.
Synopsis
Et si les femmes prenaient enfin le pouvoir dans le monde entier ?
Aux quatre coins du monde, les femmes découvrent qu’elles détiennent « le pouvoir ».
Du bout des doigts, elles peuvent soudain infliger une douleur fulgurante – et même la mort.
Soudain, les hommes comprennent qu’ils deviennent le « sexe faible ».
Mais jusqu’où iront les femmes pour imposer ce nouvel ordre ?
L’histoire tient en quelques mots : un jour des jeunes filles, des adolescentes, découvrent qu’elles sont capables de générer de l’électricité. Un muscle situé sous les clavicules des femmes devient une source d’énergie. On l’appelle le fuseau. Il semblerait que cette mutation provienne de produits chimiques destinés à immuniser les populations civiles contre les attaques chimiques et balancés dans l’eau potable anglaise durant la Seconde Guerre mondiale. Tout cela a colonisé les eaux de la planète et génération après génération les corps des femmes se sont transformés.
L’histoire racontée dans ce livre est censée être une fiction qui se déroule à notre époque, mais écrite par un archéologue, Neil, 5000 ans après ces évènements. Au début et à la fin du livre, une correspondance s’établit entre Naomi et Neil, l’auteur de ce roman qui tente ainsi de poser des hypothèses historiques. Ils vivent dans un monde dominé par les femmes qui, grâce à leur pouvoir, contrôlent le monde et les hommes. Cet état des choses dure depuis 5000 ans et la condition masculine, même si elle n’est pas enviable, car inférieure, semble naturelle. Pourtant Neil prétend que les choses n’ont pas toujours été ainsi et c’est ce qu’il essaye prudemment de démontrer avec son manuscrit. Il explique qu’il a choisi la forme romanesque pour mieux faire passer ses idées révolutionnaires, à savoir qu’avant le Cataclysme, le grande guerre de tous contre tous, c’étaient les hommes qui dominaient le monde. Qu’il y avait des hommes soldats et que les femmes étaient soumises.
Le roman suit le destin de plusieurs personnages, surtout des jeunes femmes comme Allie qui devient Mère Eve, Roxanne dit Roxy la fille d’un caïd anglais, Margot Cleary femme politique états-unienne, de sa fille Jocelyne et de Tunde un reporter qui rapporte tous les évènements dans le monde qui s’enchaînent quand les femmes commencent à utiliser leur pouvoir. Ces destins se croisent et s’entremêlent pour nous décrire le moment de la catastrophe, c’est-à-dire du moment où le monde bascule sous la coupe des femmes.
Allie représente le caractère religieux du pouvoir : elle devient Mère Eve et prône une nouvelle religion, où Dieu est une Femme et où les femmes sont les créatures sacrées du monde. Quelque peu schizophrène, elle comprend vite que ce nouveau pouvoir va permettre aux femmes de dominer le monde.
« Dieu nous aime toutes, reprend-elle, et Elle veut que nous sachions qu’Elle a simplement changé Son habit. Elle est au-delà de la distinction entre femmes et hommes, au-delà de ce que l’esprit humain peut appréhender. Mais Elle attire votre attention sur ceci, que vous avez oublié : juives, tournez vos regards vers Myriam, non vers Moïse pour ce qu’elle a a vous apprendre. Musulmanes. Regardez Fatima, et non Mahomet, Bouddhistes : souvenez-vous de Tara, mère de la libération. Chrétiennes : priez Marie pour votre salut. « On vous a enseigné que vous étiez souillées, que vous n’étiez pas saintes, que votre corps était impur et ne pourrais jamais abriter le divin. On vous a enseigné à mépriser tout ce que vous êtes et à n’aspirer qu’à être. Un homme. Or on vous a enseigné des mensonges. Dieu est en vous, Dieu est revenue sur Terre pour vous l’enseigner, sous la forme de ce nouveau pouvoir. Ne avez pas à moi pour chercher des réponses, car c’est en vous-mêmes que devez les trouver. »
Roxy est la guerrière, la soldat, qui est la plus puissante, chez qui le pouvoir est le plus fort. Malgré une épreuve assez pénible pour sa féminité puissante, elle prend le contrôle du champ de la violence.
Margot représente le pouvoir politique. Maire d’une petite commune aux États-Unis, c’est sa fille Jocelyne qui lui montre comment activer son pouvoir. Elle grimpe alors les marches de la puissance civile.
Tunde est le témoin, celui qui essaye de montrer ce qui se passe. La guerre éclate en Europe de l’Est, quand des femmes créent une république des Femmes, qui est attaquée par des hommes, en partie entraînés par le roi d’Arabie Saoudite exilé de son Royaume !
J’ai beaucoup aimé ce livre, même si en l’entamant, je n’ai pas trouvé de souffle littéraire très prégnant. L’histoire du fuseau féminin qui permet de produire des décharges électriques plus ou moins létales, ne tient pas vraiment la route. Le roman se concentre sur les personnages, et il manque vraiment toute une partie de description du « monde » qui fait que l’on a du mal à adhérer au propos. J’ai eu ainsi beaucoup de mal à me dire que ce qui était décrit devait se passer dans mon époque, car tout semble déconnecté d’une réalité sensible.
Par contre, j’ai trouvé l’histoire vraiment originale, et surtout très forte et qui colle bien à l’actualité. Dans ce moment où notre société se rend compte, par la voix des femmes qui balancent, que le rapport de domination entre les sexes est intenable, insoutenable et presque universel, lire un livre qui raconte comment les femmes retournent cette domination a quelque chose de jouissif. C’est pour moi un grand roman féministe et surtout un roman sur l’illusion du genre. Tout d’abord parce qu’il montre que les femmes sont des humains aussi violents que les hommes. Le pouvoir est la source de toute violence, et peut importe qui le possède. Mais dès que l’on a une once de pouvoir sur quelqu’un, l’humain va l’utiliser pour humilier, pour soumettre, pour violenter. Le message ici est clair : la construction actuelle et sociale des genres est un leurre.
« Je sens instinctivement – et toi aussi – qu’un monde gouverné par les hommes serait plus agréable, plus doux, plus aimant, plus propice à l’épanouissement. As-tu réfléchi à la psychologie évolutionniste de cela ? L’adaptation a fait des hommes des gardiens du foyer bosseur pendant que les femmes – parce qu’elles ont des bébés à protéger – ont dû devenir agressives et violentes. Les rares sociétés partiellement patriarcales qui ont jamais existé se sont avérées très paisibles. »
Ce livre est un miroir, tendu vers le monde oppressif masculin d’aujourd’hui.
« En termes d’évolution, à quoi rimerait pour des civilisations de sacrifier des fœtus féminins à large échelle, ou de mutiler leurs organes reproducteurs ! Il n’y a donc rien de naturel pour nous à vivre ainsi. Nous pouvons choisir de faire autrement. Le monde est tel qu’il est à cause des structures de pouvoir solidement ancrées depuis 5000 ans, et issues d’une époque bien plus sombre, bien plus violente, où seule importait pour toi et tes semblables la puissance de votre décharge électrique. »
Il raconte une vraie guerre des sexes, née de l’oppression durant des milliers d’années des uns sur les autres. Les femmes puissantes de cette histoire font vivre aux hommes tout ce que depuis des millénaires, dans notre réalité, les hommes font vivre aux femmes : violences sexuelles, brimades psychologiques, domination sociale, cantonnement dans la sphère privée. Une fois que les femmes maîtrisent leur pouvoir électrique, elles ne se gênent pas pour en faire subir les conséquences aux hommes, qui autrefois usaient de leur force physique pour faire de même. Et elles le font avec une vraie rage et un vrai esprit de vengeance. C’est finalement très pessimiste… ou très lucide quant à la nature humaine.
La critique sous-jacente dans le roman de la violence est finalement minime face à la fois de puissance qu’exhalent les différents destins racontés ici. J’avoue, en tout point politiquement incorrecte et peut-être avec vulgarité, que cela du bien de lire un livre où les hommes se font « latter la gueule » par des femmes, car j’aimerai vraiment que cela soit un peu plus le cas dans le monde dans lequel je vis. Je ne crois pas qu’un monde humain sans violence soit possible … c’est d’ailleurs, je pense, un peu également le message de ce livre. Le principe de réalité humaine est celui-là et si aujourd’hui le rapport de force bascule très légèrement en faveur des femmes, je ne vais pas m’en plaindre.
« Le sujet du jour est le suivant : de combien d’hommes avons-nous réellement besoin ? Réfléchissez bien, nous dit-on : les hommes sont dangereux ; ils sont responsables de la grande majorité des crimes ; ils réfléchissent avec leurs muscles et avec leur bite. Étant plus vulnérables face à la maladie, ils grèvent le budget du pays. Certes, il en faut pour concevoir des bébés, mais de combien en avons-nous besoin au juste ? Moins que de femmes. »
Je viens de le découvrir récemment mais je pense que je vais bientôt craquer.
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Il a l’air assez terrible ! Tu remontes un peu ce livre dans mes intérêts car je restais dubitative sur la crédibilité de ce roman, le sujet est quand même un peu casse-gueules. Merci pour cette chronique en tout cas !
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you’re welcome 🙂
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Pas désagréable à lire malgré une écriture somme toute banale, « Le Pouvoir » est plombé par une fin sans queue ni tête. Naomi Alderman ne savait manifestement pas comment finir son roman et a donc opté pour une fin ex abrupto sans réel dénouement. « Tout ça pour ça » est le sentiment frustrant qui prédomine au moment de refermer le livre…
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