Nous vivons une époque de changements, c’est une tautologie aujourd’hui de dire cela. Le principal changement est social et il a trait à la place ou les places que les humains tiennent et vont avoir à tenir non seulement dans le monde, pensé de plus en plus comme un système Terre nous dit Dominique Bourg, mais aussi dans leurs communautés d’humains. Notre époque est charnière et historique, car elle est une quête d’un autre modèle d’organisation sociale. Durant les millénaires qu’à duré la présence humaine sur la Terre, les humains, trop faibles et fragiles face à la Nature toujours effrayante et vraiment dangereuse, ont compté sur la puissance de leurs groupes, l’entraide, la solidarité et la générosité. Qu’il s’agisse de la famille, du clan, de la tribu et plus tard de la ville, du village, de la nation, l’humain ne peut se penser en dehors de ses semblables : l’Homme est un animal politique, il a besoin des autres et de s’organiser pour survivre. La puissance du groupe, de la communauté était telle que les humains se définissaient individuellement par leur appartenance au collectif. Cette appartenance pouvait être confortable, sécurisante, mais elle a aussi été très contraignante, bridant durant des siècles les velléités, la créativité, des individus. Mais c’était nécessaire et personne n’allait contre, même s’il ne fait aucun doute que beaucoup de nos ancêtres devaient rêver à davantage de liberté, de liberté de choisir sa vie surtout. Rappelez-vous (et ceci existe toujours dans bons nombres de sociétés actuelles) : les mariages étaient arrangés, on faisait le métier de son père, on était avant tout des parents, les femmes ne recevaient pas d’instruction puisqu’elles devaient quitter le foyer paternel, le statut social était garanti par avance comme sa place à l’Église, on jurait fidélité au souverain qu’il soit temporel ou éternel, on vivait sous le regard acéré de sa communauté villageoise ou de son quartier, on voyageait peu. C’était le prix à payer pour survivre, car le monde n’était pas une sinécure. Ce modèle millénaire s’est anéanti pour toujours dans les catastrophes des régimes totalitaires où l’État, le groupe suprême de la nation, qu’elle soit communiste ou national-socialiste, a brisé tout élan de liberté et de créativité de l’individu. Depuis, il est certain pour la plupart d’entre nous que nous ne voulons plus du tout vivre sous ce genre d’organisation sociale, et que le poids du groupe sur nos vies se doit d’être le plus léger possible.
Des communautés à l’individu
Puis, il y a seulement quelques décennies, le progrès technologique a rendu le monde et la nature moins effrayants. L’orgueil humain a cru pouvoir les dominer et les exploiter et notre avenir est aujourd’hui lié à notre capacité à ravaler cet orgueil-là. Du côté social, cette révolution technique a eu comme conséquence de détacher l’individu du groupe, de lui donner, enfin, sa liberté, dite individuelle, puisqu’il pouvait survivre seul dans le monde sans ses contemporains, sa famille ou ses amis. Aujourd’hui, vous pouvez tout à fait réaliser toutes les tâches quotidiennes qui prenaient tout le temps de nos ancêtres – préparer à manger, nettoyer votre linge, nettoyer votre maison, travailler pour gagner de l’argent ou produire quelque chose – grâce à des machines de toutes sortes. On peut renvoyer ici à Hartmut Rosa qui, dans son livre Accélération, précise bien que, de façon totalement contradictoire, cette révolution technologique qui devait nous faire gagner du temps à en fait accélérer nos vies que nous devons remplir et remplir et remplir de tâches à faire, de loisirs, d’expériences qui, fort heureusement, nous feront sortir du terrible et si peu sexy trou du quotidien ennuyeux et routinier. Nous vivons dans une société où l’individu est roi et où toutes contraintes collectives sont immédiatement rejetées comme des lambeaux d’un passé humain que l’on ne veut plus revivre.
Le principe de la société liquide : ça coule de partout !
Ce monde hyper individualiste et post-moderne est le sujet du travail du sociologue polonais Zygmunt Bauman, décédé en janvier 2017, et qui a qualifié notre monde de « société liquide ». La société liquide s’oppose à la société solide, celle où la vie sociale, les institutions, la place de chacun étaient définies collectivement et étaient permanentes, fixes. La société liquide est celle où les rapports humains n’ont plus rien de permanent, où tout est flexible et jetable, l’amour, le travail, la famille et même soi-même, puisqu’il s’agit pour chacun d’entre nous de se définir par une auto-affirmation de ce que l’on est. L’appartenance à une communauté à un groupe a été remplacée par l’auto-affirmation et la promotion constante de son identité propre. Dans cette société liquide, tout coule, rien n’a de consistance à part le consumérisme, qui est le seul point fixe et solide du modèle. La conséquence principale de ce phénomène, au niveau social, est que l’individu est sommé d’être un « être en devenir », d’être performant, de savoir ce qu’il veut, de choisir sa voie, de mener la barque de son existence vers la réussite, la richesse et surtout… le bonheur, ce nouveau tyran comme l’affirme Eva Illouz dans Happycratie. Les normes ne sont plus contraignantes puisque plus collectives, chacun peut donc définir ses propres valeurs puisque tout est relatif à l’individu, unique bien sûr, mais tellement banal et commun. Il faut pouvoir se démarquer des autres, qui sont immanquablement beaucoup moins bien que soi. Et pour cela, il faut s’imposer, rabaisser l’autre, le cannibaliser, prendre sa place, le couler.
J’ai découvert Bauman en lisant deux de ses ouvrages : Le Présent liquide publié en 2007 et Les enfants de la société liquide, qui vient d’être publié chez Fayard et écrit en collaboration avec Thomas Leoncini. Dans ses livres, Bauman est un fervent critique de la société liquide et il pointe alors la problématique centrale de notre époque. Nous ne voulons certes plus vivre selon les modes de la société solide, mais nous voyons également les travers et les perversités de la société liquide, dont l’une des conséquences est bien la surconsommation, l’appétit vorace de l’humanité pour la nature qu’elle exploite et qui conduit tout droit notre monde à la catastrophe. Il va donc nous falloir trouver un nouveau modèle d’organisation sociale où nous serons capables, dans un effort intellectuel qui exigera de faire coïncider les opposés, de vivre à la fois ensemble et individuellement, de vivre dans des communautés qui ne nous imposeront plus des contraintes de vie ou alors ces contraintes nous les aurons réellement choisies nous-mêmes directement (ce qui suppose une vie politique locale bien plus développée qu’aujourd’hui). Et être capable aussi de nous déterminer dans nos choix personnels en pensant aussi aux autres, au groupe et en faisant bénéficier nos réseaux (car nous serons des êtres multicanaux !) de nos capacités, de nos savoirs et de nos compétences.
Le travail de Bauman, tel que je l’ai découvert dans ces deux ouvrages, est une suite d’analyse de phénomènes modernes sous l’angle du concept de modernité liquide.
Les migrants et les traders, symboles de la société liquide
Ainsi, dans Le Présent liquide, le premier chapitre est consacré aux migrants, que l’auteur décrit comme les nouveaux « déchets humains » du millénaire. Ce terme est choquant, mais finalement juste.
« Les réfugiés sont l’incarnation même du « déchet humain » qui n’a aucune fonction utile à remplir dans son pays d’arrivée et de séjour temporaire et qui n’a ni l’intention ni la perspective réaliste d’être assimilé et incorporé à un nouveau corps social. De leur dépotoir, aucune route ne ramène en arrière ni ne mène en avant (à part celle qui conduit vers des pays plus lointains encore, comme dans le cas des réfugiés afghans escortés par des cuirassés australiens vers une île à l’écart de tous les sentiers battus – ou même non battus). Une distance suffisante pour que les effluves nocifs de décomposition sociale ne puissent atteindre les zones habitées par les autochtones : tel est le critère décisif du choix de l’emplacement des camps définitivement temporaires. Ailleurs, les réfugiés apparaîtraient comme un obstacle, une nuisance ; dans cet endroit, on les oublie. En les parquant ainsi et en évitant tout débordement, en rendant la séparation finale et irréversible, « la compassion des uns, la peur ou la haine des autres » coopèrent pour le même résultat : prendre ses distances et rester à distance. »
Les migrants de notre monde sont des êtres à la marge, qui n’appartiennent à aucune zone de droit : ils sont les vrais marginaux, hors du monde de la consommation, qui ne servent à rien et qui sont au contraire les signes de la déliquescence de la société occidentale. Ils vivent dans cet « espace liminaire », en deçà et en dehors des frontières qu’a créées la mondialisation. Et pour Bauman, ils sont l’exact miroir, en négatif, des élites mondiales, qui, dit-il, sont les vrais méchants de l’histoire et qui, comme les migrants, vivent dans le flou et l’anarchie organisationnelle qu’a créé la mondialisation néo-libérale. Les migrants comme les élites (traders, dirigeants de start-up, employés des GAFA, élites technocratiques des pseudo démocraties libérales…) sont des sans domicile fixe, allant et venant d’un pays à l’autre sans vraie attache, ou ayant quitté leurs attaches pour trouver un mieux, une autre vie, ailleurs, au-delà des frontières. Par contre, entre les deux, la population trouve plus facile de s’en prendre aux réfugiés qu’aux élites amorales, ils sont plus faibles et plus visibles, c’est tout.
« On peut dire que la version moderne de l’insécurité est caractérisée par la peur de la malveillance humaine. Elle repose sur la méfiance envers les autres hommes, envers leurs intentions, sur un refus de croire en la constance et en la solidité des rapports humains et dérive en dernière analyse de notre incapacité et/ou de notre réticence à rendre ces rapports durables et fiables. »
Nous sommes devenus des chasseurs qui ravagent le monde et nous-mêmes
Toujours dans Le Présent liquide, Bauman développe une thèse, que l’on retrouve tout au long de son œuvre : celle du statut de l’humain face à la nature, passant, selon 3 métaphores végétales, du poste de garde-chasse à celui de jardinier et enfin à celui de chasseur. À l’époque pré-moderne, l’Homme est un garde-chasse qui défend la terre confiée contre toute intervention humaine pour préserver l’équilibre naturel qui est l’ordre divin.
À l’époque moderne, il est le jardinier qui pense au contraire que c’est par ses efforts que l’ordre du monde existe. Il a organisé par la pensée ce qu’il fait dans le monde. Il imagine (utopie) ce que pourrait être son jardin. Il appelle les plantes bonnes ou mauvaises herbes. Pour l’auteur, les utopies n’ont pu apparaître qu’à l’époque moderne, car auparavant, il est impossible pour l’Homme de penser un autre monde que le sien, routinier et auto-reproducteur.
À notre époque de la post-modernité, l’Homme est devenu le chasseur qui se moque de l’équilibre global qu’il soit naturel ou artificiel. C’est l’individu qui ne veille pas sur le gibier, mais ravage les bois avant d’aller autre part ravager quand tout a été éradiqué. Ceci n’est d’ailleurs pas son problème, mais un problème global et le chasseur est seul ou en petit groupe et ne se sent pas responsable individuellement des conséquences de ces actions. Ici, il n’y a plus de place pour l’utopie moderne d’un autre monde encore moins pour l’irrationnel du monde prémoderne.
Dans notre société de chasseur, ce qui est tu c’est que l’on peut être à la fois chasseur et gibier, et que la plupart du temps on fait la chasse à ses semblables pour rester dans la course :
« En outre, dans une société de chasseurs, l’idée d’une fin de la chasse n’est pas tentante, mais effrayante, puisque cette fin ne peut prendre que la forme d’une défaite personnelle, d’une exclusion. Les trompes continueront à sonner le début d’autres aventures, les aboiements des chiens continueront à ressusciter le doux souvenir de chasses passées, d’autres hommes continueront à chasser, l’excitation universelle ne connaîtra pas de fin… Je serai le seul à rester à l’écart, sur la touche, désormais indésirable, exclu des joies des autres, spectateur passif, de l’autre côté de la barrière, qui regarde la fête sans avoir le droit ou la possibilité d’y participer, qui en goûte le spectacle de loin et par procuration.
Si une vie de chasse continue est encore une utopie, c’est une utopie différente de celles d’autrefois, car sans fin. Une utopie bizarre, car les premières tiraient leur force de la promesse d’une fin du labeur. L’utopie des chasseurs est un rêve de labeur sans fin. »
La critique de notre société passe donc par cette image de la chasse, et je trouve qu’elle est très juste : violence, mépris, manque de bienveillance envers les autres, mais aussi et surtout envers soi-même, jeux du cirque, mise à mort des plus faibles, et enfin peur, une peur interminable d’être à son tour chassé. Chassé du jeu et chassé par les autres, exclu et traqué à son tour, voilà de nos jours la hantise la plus folle de nos contemporains.
« Le rêve de rendre l’incertitude moins intimidante et le bonheur plus durable en changeant d’ego, et de changer d’ego en changeant de déguisement, c’est l’utopie des chasseurs, une version « dérégulée », « privatisée » et « individualisée » de la société d’autrefois, de cette société favorable à l’humanité de ses membres. La chasse est un travail à plein temps, qui demande beaucoup d’attention et d’énergie, qui ne laisse guère de moments pour autre chose ; elle détourne donc l’attention du caractère interminable de la tâche et repousse aux calendes grecques le moment de la réflexion, le moment d’affronter l’impossibilité d’accomplir cette mission. »
Les perspectives que nous donne Zygmunt Bauman ne sont pas réjouissantes, mais elles sont lucides. Qu’en est-il de ceux et celles qui ne veulent pas jouer à la chasse ?
La jeunesse liquide contre les vieux trop solides ?
Dans le second livre que j’ai lu en partenariat avec NetGalley et qui vient de paraître aux éditions Fayard, Les Enfants de la société liquide, Bauman dialogue par mail avec un journaliste italien, Thomas Leoncini. Le thème qui traverse le livre est la jeunesse : celle interrogée avec beaucoup de recul par Bauman au crépuscule de sa vie, et défendue par un représentant de la génération des Millenials. Un peu comme Bauman, idée qui transparaît dans le livre, je suis bien heureuse d’être née dans les années 70 et pas dans les années 90 ou pire 2000 ! Désolé d’être aussi franche, mais je suis bien heureuse d’avoir connu ce monde où le monde n’était pas une catastrophe. Je suis aussi heureuse de ne pas être née avant les années 70, l’époque des baby-boomers, la génération de mes parents, qui sont ceux qui ont fait de ce monde une catastrophe, en prônant le capitalisme, le travail forcené, l’individualisme et aujourd’hui qui se plaint parce qu’elle doit payer des taxes sur des pensions de retraite payées par ma génération ou par les Millenials qui eux galèrent à survivre tout simplement… Je pense par ailleurs que si résilience il doit y avoir, elle ne pourra venir que de la génération des Millenials, qui ont dans leur ADN, dans leur conscience, l’acuité des défis économiques, écologiques et politiques qui nous attendent. Ma génération devrait être aux commandes, mais elle ne l’est pas parce que celle d’avant s’accroche aux pouvoirs. Espérons que le pouvoir passe vite entre d’autres mains, à nous à présent de rappeler à ceux et celles qui sont né-es avec internet et un smartphone dans les mains que l’on peut aussi vivre autrement.
Pour en revenir à Bauman, son livre sur les Enfants de la société liquide reprend des thèmes d’études précis pour en proposer une analyse sociologique parfois décapante : la mode des tatouages, le problème de plus en plus fréquent du harcèlement, et les mœurs amoureuses. Pour le sociologue, la mode des tatouages (aux États-Unis, 47% des Millenials ont au moins 1 tatouage et 36% de la génération Y) est le signe visible de ce qu’il appelle l’auto-affirmation de soi, de son identité individuelle, ce phénomène qui remplace l’appartenance à une communauté. Ce qui est d’autant plus risible que justement, les tatouages sont historiquement et culturellement des signes d’appartenance à une communauté !
« Les nouveaux et puissants modes mimétiques de manipulation de l’apparence publique du corps (ou de « présentation de soi dans la vie de tous les jours », comme préférait le dire Erving Goffman) que vous venez d’énumérer avec tant de sagacité, et dont il faut souligner le caractère éphémère (quand bien même ils aspirent à capturer l’éternité dans un moment passager, observait déjà Charles Baudelaire il y a plus d’un siècle et demi), trouvent leur origine dans la redéfinition moderne et par trop humaine de l’identité sociale, passée de l’état de donné à celui de tâche. Cette tâche est aujourd’hui nécessaire et attendue ; elle doit être exécutée par l’individu qui la porte, et déploie des matériaux bruts et des modèles socialement donnés dans une opération complexe de « reproduction créative », qui porte le nom de « mode ». Comme le suggérait Eric Hobsbawm, sans doute le plus grand historien du XXe siècle, depuis que l’idée de « communauté » a commencé à être reléguée dans les marges de la pensée et de la pratique sociale (et a même été promise à l’extinction par la grâce d’un sociologue autrefois très influent, Ferdinand Tönnies, et de ses multiples disciples des deux derniers siècles), l’idée d’« identité » et la pratique de l’« auto-identification » ont surgi pour remplir le vide que la disparition anticipée de cette idée de communauté allait creuser dans les habitudes existantes de classification et de placement social. »
Ce constat est aussi le même pour le port de la barbe par les hipsters ou le recours de plus en plus massif à la chirurgie esthétique. Pour Bauman, ces effets de mode sont avant tout des moyens, pour la société consumériste, de pouvoir survivre, suivant le principe que nous appliquons tous : si tu peux le faire, tu dois le faire.
« L’économie consumériste prospère (et même survit) grâce à un stratagème magique qui fait de la possibilité une obligation ; ou, en termes économiques, qui transforme l’offre en demande. Le phénomène de la mode – un phénomène qui détermine les schémas contraignants de l’apparence extérieure du corps en fonction des capacités de l’industrie de la cosmétique et de la chirurgie esthétique – joue un rôle crucial dans le bon déroulement de cette conversion miraculeuse. »
Ainsi, ce que soulève ici Bauman, c’est bien la question de la liberté, ou de ce que certains appelleraient le libre arbitre. Dans notre monde actuel, nous croyons être les maîtres de nos vies et de nos apparences, mais en fait nous ne sommes que les jouets du principe de consommation qui nous fait croire que si nous pouvons avoir ou faire quelque chose alors nous devons le faire ou l’avoir. Et que si nous n’exploitons pas cette possibilité, devenue une obligation quasi morale, alors nous nous excluons de fait de la société. Cela vaut aussi, je trouve, pour la mode du tourisme de masse, du développement personnel.
Violences dans les rapports humains à l’heure où les limites disparaissent
De même, le harcèlement et la violence que beaucoup de jeunes vivent et font subir, et même si cela a toujours existé rappelle Bauman (lui qui a subi, en tant qu’enfant juif polonais durant la Guerre, l’exclusion et la violence), sont des stigmates de cette société liquide où pour s’auto-affirmer, pour faire exister sa pauvre petite identité individuelle, il faut humilier, rabaisser, agresser les « autres ».
« Un peu plus tard encore, j’ai suivi le conseil de l’écrivain E. M. Forster : « only connect » – il faut unir, relier, mettre en relation. Et il m’est apparu que désigner un ennemi et démontrer par tous les moyens son infériorité était l’inséparable revers de l’auto-identification. Il n’y aurait pas de « nous » s’il n’y avait pas un « eux ». Mais, heureusement, pour assouvir notre désir de rester ensemble, de nous aimer et de nous aider les uns les autres, il y a un « eux » et il y a donc il doit y avoir un « nous », qui manifeste par des paroles et par des actes cet être-ensemble ; qui ne se lasse jamais de le rappeler, de le manifester, de le réaffirmer, de le prouver aux autres. Car, au bout du compte, l’idée d’un « nous » n’aurait aucun sens si n’y était pas apparié un « eux ».
Cette règle, je le crains, n’augure rien de bon pour le rêve d’un monde libéré de tout harcèlement. »
Enfin, les deux auteurs dissèquent les éléments nouveaux de la vie amoureuse à l’heure d’internet qui a introduit dans les relations humaines cette flexibilité si tendance par ailleurs. On parle d’expériences amoureuses, de liberté sexuelle (mais à quel prix ?), de polyamours, ce qui ne délimite plus des relations « solides » dans le sens de cette société solide moderne, où les institutions permettaient de (se)construire, même si c’était en opposition à. Nos vies deviennent liquides, car nous avons deux vies : une vie hors ligne et une vie en ligne. La vie liquide est celle où les frontières s’effacent, et où c’est l’individu lui-même qui demande à ce que ses limites soient dépassées.
Pour conclure ce très long article, lire Zygmunt Bauman est une des bases pour celles et ceux qui veulent comprendre le monde tel qu’il va. Il fait partie de ces penseurs qui ont une vision avant-gardiste de la post-modernité et qui nous proposent une vision pessimiste, mais pas cynique de ce qui nous attend. Comprendre est nécessaire pour agir et non pas seulement réagir quand les bouleversements seront trop énormes pour ne plus être, comme c’est encore le cas aujourd’hui, mis de côté.
j’aime me promener sur votre blog. un bel univers agréable. Blog intéressant et bien construit. Vous pouvez visiter mon blog. à bientôt.
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Merci ! oui je n’y manquerai pas
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Wow, je suis impressionnée par le détail de ton article, chapeau ! Tu te doutes bien que ce livre m’intéresse de par son thème 😀
Sur le coup, j’ai été assez choquée par le terme de « déchet humain », mais une fois que tu en donnes l’explication, ça paraît plus clair et compréhensible, malheureusement
(ça me fait de la peine pour eux…) C’est dingue comment ce livre a l’air de relever des tas de problématiques qui ne vont pas dans notre monde.
Et sinon, désolée, je suis née dans les années 90 😛 Je n’avais pas l’impression que le monde était une catastrophe lors de cette décennie, mais une fois arrivées les années 2000, on tombe de haut… Surtout quand on a connu comme moi le 11 septembre 2001 à un jeune âge et qu’on nous prend de haut en mode « vous vous en souvenez pas » alors que si si, je m’en souviens comme si c’était hier, et je ne suis pas la seule de ma génération, ça nous a beaucoup choqué, je pense que c’était le début de notre désenchantement.
Et tes propos sur les baby boomers, je pense aussi la même chose ! Va leur parler des problèmes écologiques et ils te répondront « Je ‘en fiche, je serai mort avant de voir ça »… Insupportables !
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Cet article m’a beaucoup impressionnée et j’aime bien le traduire mais je dois avoir le nom de son auteur car je ne peux pas mettre seulement «écrit par Sarah » c’est le règlement des revues culturelles. Est-ce que vous permettez que je le traduise et est ce que vous pouvez me donner le nom de son écrivain ?
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Bonjour, je suis l’auteure de cet article. Pour quelle revue voulez vous le traduire ? Vous pouvez me contacter à l’adresse suivante : moendjo@gmail.com.
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