La Révolte de Clara Dupont-Monod

Dans une autre vie, il y a très très longtemps, dans une lointaine galaxie, par delà les frontières… oups je m’égare. Bref, il fut un temps où j’étais passionnée d’Histoire et en particulier de Moyen Age. Je suis même devenue historienne presque professionnelle avant de me dire que la philosophie c’était plus chouette. Le problème de l’Histoire, c’est qu’on peut en faire le tour. Cela m’est arrivé quand, étudiante à la Sorbonne et en voie d’écrire une thèse, mon professeur m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit : « A présent, tu ne dois lire que des ouvrages sur le XIIe siècle ». Certes, cela me passionnait, mais il y avait aussi beaucoup d’autres choses qui m’électrisaient. Je n’ai donc pas fait de thèse…
Cet envoûtement pour le Moyen Âge vient du fin fond de mon enfance. J’ai dévoré les Rois Maudits de Maurice Druon durant un été splendide quand j’avais 11 ans, au lieu d’aller m’amuser dans les champs avec mes voisins. Je restais plutôt sur le seuil de ma maison, penchée sur les livres qu’une voisine, maligne, m’avait prêtés. Ce fut sans doute l’un de mes plus beaux étés…

La légende des Plantagenêt

Ma tête était remplie d’Histoire, de chevaliers, de Rois de France. Je suis tombée tout de suite amoureuse de cette famille, dont la légende perfide, tragique et sanglante est digne des tragédies antiques : les Plantagenêts. Et surtout d’Aliénor duchesse d’Aquitaine, qui fut l’un de mes premiers modèles de femmes indépendantes et intelligentes. Son image m’a toujours suivi tout au long de ma vie, et c’est sur son exemple que j’ai entrepris moi aussi d’essayer de vivre en femme libre et maîtresse de ses choix.

Bien sûr les figures masculines de cette famille légendaires m’ont également fait rêver des heures durant. Henri II, le roi d’Angleterre sanglant et n’hésitant pas à tuer son meilleur ami et archevêque, Thomas Beckett ou à emprisonner sa femme trop rétive à ses ordres.

Gisant du roi Henri II à Fontevraud

Richard le Cœur de Lion, brave parmi les braves, Roi chevalier partant à la Croisade et s’acoquinant avec Saladin, le prince d’Orient. Richard le prisonnier, le Roi perdu des légendes que le XIXe siècle romantique et gothique mettra à l’honneur dans des romans qui ont aussi bercé ma jeunesse, de Robin des Bois à Ivanhoé. Richard qui meurt comme un manant d’un carreau d’arbalète sous les murs d’une forteresse d’Aquitaine.

Statue de Richard Cœur de Lion devant l’abbaye de Westminster à Londres

Jean Sans Terre le falot et le traître, roi de pacotille ; Geoffroy de Bretagne dont le fils, Arthur, fut assassiné par Jean qui avait trop peur de sa prestance et de sa gloire.

Fontevraud, refuge d’Aliénor à la fin de sa vie.

Jeune étudiante en Histoire j’ai bien sûr visité l’abbaye de Frontevraud où se trouvent les gisants d’une partie de la famille. Quand, plus récemment, j’ai découvert le charme et la douceur d’Angers, j’ai découvert bien plus de beauté au château des Plantagenêts, avec ses murailles imposantes, qu’au château de Nantes.

Les formidables murailles du château des Plantagenêt à Angers

La Révolte de Clara Dupont-Monod

Quand j’ai donc vu qu’à cette rentrée littéraire 2018 sortait un roman sur mes héros de jeunesse, il était évident que je le lise. Même si mon regard et mon appréciation ne pourront jamais être neutres.

J’ai lu le roman de Clara Dupont-Monod, La révolte, qui essaye de nous raconter l’histoire de cette famille, et surtout celle d’Aliénor et de Richard, son fils préféré, à partir des années 1173, quand les fils d’Henri Plantagenêt se révoltent contre leur père.
C’est en fait le roman d’Aliénor, une reine de France et d’Angleterre, dont la stature et la puissance, à une époque où les femmes surtout aristocrates ne jouaient aucun rôle dans la société, ont frappé le monde et détonnent toujours dans le cours de l’Histoire occidentale.

« Sa robe caresse le sol. À cet instant, nous sommes comme les pierres des voûtes, immobiles et sans souffle. Mais ce qui raidit mes frères, ce n’est pas l’indifférence, car ils sont habitués à ne pas être regardés ; ni non plus la solennité de l’entretien – tout ce qui touche à Aliénor est solennel. Non, ce qui nous fige, à cet instant-là, c’est sa voix. Car c’est d’une voix douce, pleine de menaces, que ma mère ordonne d’aller renverser notre père. »

Mon avis : très mitigé

Le « roman » ou plutôt la biographie romancée est en fait un dialogue indirect entre la mère et le fils, qui nous racontent les évènements tragiques, les batailles, les guerres, les croisades, qu’ils traversent de concert.
Comme souvent dans ce genre d’exercice, celui ou celle qui compte faire un roman de l’Histoire a beaucoup de mal à s’extraire du terreau des faits. N’est pas Alexandre Dumas qui veut ! C’est très compliqué de raconter les vies de personnages réels, surtout aussi célèbres, sans faire une énième biographie et en essayant tout de même d’y introduire quelques éléments romancés. Cela intervient ici sous la forme de dialogues imaginés, entre la mère et le fils. Mais nous lisons surtout les pensées de ces deux personnages : voilà qui est plus aisé à se représenter. Des pensées : personne ne saura ce qui se passait dans leurs âmes. On peut donc tout supposer. Sauf que c’est périlleux, quand on fait s’exprimer des êtres humains qui ont vécu dans une tout autre civilisation que la nôtre. Comment ne pas sentir l’anachronisme des paroles romancées ? Et pour le coup, l’auteure ici n’y parvient pas.

En fait, mon avis sur ce livre est on ne peut plus critique. Tout d’abord parce que c’est mal écrit… comme souvent à notre époque, nous avons là quelqu’un qui veut faire du « style », mais qui n’y arrive pas. Je reviens toujours à mon constat et je défends plutôt la plume d’une autre auteure qui s’est elle aussi essayée au roman historique médiéval : je veux parler de Carole Martinez . Voilà des livres pleins de poésie, de beauté littéraire et de finesse de style. Clara Dupont-Monod est beaucoup plus lourde. Les phrases sont hachées sans que l’on sache pour quoi faire. On a l’impression de lire les notes qu’elle a prise en lisant elle-même des livres d’Histoire. C’est pâteux et grossier. Le sujet méritait mieux.
Mais surtout il manque un souffle épique à ce roman ! Enfin quoi… les Plantagenêts ce sont les Atrides mycéniens ou les Labdacides thébains du Moyen Age angevins. C’est tragique, c’est sanglant, c’est glaçant. Ce sont des personnages hors du commun qui méritaient mieux que ce petit livre qui manque d’envergure et de puissance d’écriture.

Gisant d’Aliénor d’Aquitaine à Frontevraud.

Si vous voulez vous repaître de la vie des Plantagenêts, les voir s’écharper, s’aimer et se haïr, et profiter d’un vrai chef-d’œuvre, je vous recommande plutôt de voir ou de revoir Le Lion en Hiver, d’Anthony Harvey de 1968 avec Peter O’Tool, Anthony Hopkins et Katharine Hepburn ! Katharine Hepburn ! Voilà une parfaite Aliénor d’Aquitaine. Cela a tout de même plus de classe, de panache que ce roman que je vais très vite oublier !

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