Jardin Zen – La philosophie des Jardins – Deuxième partie

Je continue la publication de la conférence que j’ai donné en février dernier aux Rencontres de Sophie, le rencontres de la philosophie à Nantes. Après la présentation du Zen, philosophie bouddhiste qui influence la pratique des arts, dont celle des jardins, voici la seconde partie où je présente les liens étroits entre la pratique du bouddhisme zen et les jardins dit japonais.

Jour de printemps
Moineaux dans le jardin
Se baignant dans le sable.

Le jardin au calme
Lorsque le camélia
Offre sa blancheur.

La Nature comme pratique philosophique

Ces haïkus de Taigu Ryokan poète de la fin du XVIIIe siècle sont comme les kôan, des morceaux littéraires de la Voie bouddhique. Le poème n’est pas symbolique mais exprime dans une brièveté minuscule et parfaite des sentiments profonds et des éclairs soudains d’intuitions. Les haïkus ont souvent pour thème la nature, si présente au Japon d’autrefois comme aujourd’hui. La nature qui peut être belle et cruelle comme le rappelle les fréquentes catastrophes naturelles dont ce pays est victimes régulièrement.
Le poème saisit la vie comme elle s’écoule. Il n’y a pas non plus d’égotisme ; l’auteur n’est jamais valorisé. Mais dans l’intérêt porté à la trame simple, apparemment insignifiante, de la vie quotidienne (une feuille qui tombe, la pluie, une abeille), le haïku nous apprend à ressentir la vie des choses et nous offre un avant-goût de l’Éveil. Ce regard sur l’ordinaire, le banal, le négligeable, bref, toutes les choses sur lesquelles nos sens ne s’attardent plus, rejoint la démarche du kôan afin de nous éveiller à la beauté éphémère, à l’importance du détail, à l’élémentaire harmonie.
C’est tout cela que l’on retrouve dans les jardins zen, haïku et kôan vivants, fait de roches, de sable, de végétaux.

Le Jardin Zen comme objet philosophique

Les jardins zen sont à l’origine les jardins des temples bouddhistes et le premier à avoir été construit le fut à la fin du XIIIe siècle au temple Nanze-ji près de Kyoto la capitale impériale.
L’art Zen peut être réduit à 7 principes que l’on retrouve dans l’art des jardins :

  • Asymétrie
  • Simplicité
  • Austérité
  • Naturel
  • Subtilité
  • Liberté absolue
  • Sérénité

Ces principes zen permettent au pratiquant et au méditant (qui est la même personne) de se défaire du mental et d’atteindre une conscience pure et peut-être l’Éveil.

Jardin du temps Nanze Ji
Jardin du temps Nanze Ji (wikipédia)

Le Zen est surtout connu en Occident pour sa technique de méditation, le za-zen, littéralement la méditation assise. Comme les Occidentaux aiment se focaliser sur quelques détails, nous considérons que c’est là l’essentiel du bouddhisme zen. Pourtant, derrière cette méthode qui vise l’Éveil le plus direct possible, c’est tout un modèle de vie qui s’est créé. Car la méditation n’est pas qu’assise, et le Zen propose de vivre en pleine conscience dans toutes les activités de la vie quotidienne, comme par exemple préparer le thé ou déambuler dans un jardin. Cette technique permet d’unifier le corps en acte et la sagesse, c’est-à-dire l’expérience concrète de la non-dualité et de la vacuité.
Cette expérience intellectuelle ne passe pas forcément pas l’exégèse et la récitation de textes antiques du bouddhisme primitif, mais par la pratique de dialogues entre le maître et le disciple ou de kôan. Les kôan sont des historiettes, des énigmes, des sentences paradoxaux qui permettent d’aiguiser prajna et de vérifier la compréhension juste du disciple par-delà l’intellect conceptualisant.

Le jardin japonais le plus célèbre est sans doute le Ryôan-Ji : c’est un Kare-sansui (paysage sec) composé de 15 pierres mystérieuses tant dans leur signification symbolique que leur provenance et la date de leur agencement (sans doute vers le XVe siècle). Les interprétations et tentative de décryptages du jardin sont nombreuses, la plus simple étant celle de la représentation d’une mer symbolisée par les graviers blancs baignant 15 îles montagneuses. Ou bien ce sont les sommets d’une chaîne de montagne au-dessus d’une mer de nuage. On peut y voir également une tigresse qui mène ses petits à la rive. L’interprétation bouddhiste y voit la représentation des phénomènes sensoriels par les pierres et l’espace vide des graviers est le « mu » la vacuité.

Jardin du Ryoan-Ji (https://conoce-japon.com/wp-content/uploads/2013/02/Ryoan-ji.jpg)

La philosophie bouddhiste du Zen reprend bien sûr les bases du bouddhisme né en Inde vers le Ve siècle avant JC. Il peut être résumé par ces 4 principes, appelés les 4 vérités des nobles (on non pas les 4 nobles vérités suivant une traduction erronée) :

  • Duhkha : toutes les expériences de la vie sont vécues comme duhkha, comme souffrance : naissance, maladie, vieillesse, mort mais aussi les relations humaines et le rapport à ses propres désirs comme à soi-même
  • L’origine de duhkha est la « soif » le désir qui nous pousse à vouloir ce qui nous est agréable et à rejeter ce qui nous est désagréable. C’est de cet attachement et cette lutte permanente avec nous-même et la réalité du monde que naît le samsara, le monde des illusions qui nous fait croire que nous existons en-dehors du monde, qu’il existerait un sujet indépendant des choses.
  • La cessation de duhkha : cette souffrance peut être évitée et arrêtée car elle se met en place presque automatiquement dans notre esprit. Car tout ceci est une souffrance essentiellement psychique, fondée sur notre ignorance de la vraie nature de notre esprit. Quand on cesse de s’attacher à l’illusion, c’est la libération de l’Éveil ou nirvana qui veut dire extinction. Si on élimine les causes de la souffrance on se dirige vers l’état définitivement sans souffrance.
  • Le chemin conduisant à la cessation de duhkha : c’est le remède, la thérapie pour éradiquer la souffrance. Il s’agit de l’octuple noble sentier dont les 8 branches doivent être pratiquée simultanément pour atteindre l’Éveil. Ces voies sont : une conduite éthique caractérisée par la parole juste, l’action juste, les moyens d’existence justes ; le recueillement méditatif qui regroupe l’effort juste, l’attention juste, la concentration juste, la connaissance supérieure (prajna), la pensée juste, la compréhension juste. Le qualificatif de juste désigne des attitudes physiques et mentales qui empruntent le chemin du juste milieu, et qui s’éloigne des extrêmes.

Le jardin comme pratique de la philosophie de la non-dualité

Le Zen, au-delà de ces principes originels, cherche à mettre en pratique dans toute la vie quotidienne du pratiquant les deux expériences de la vacuité et de la non-dualité, au moyen d’exercices qui pointent des paradoxes et qui développent une attention, une conscience la plus affutée possible.

La vacuité est signifiée en chinois et en japonais par le vocable « mu » qui désigne le néant ; mais il ne s’agit pas d’un néant vide et désespérant mais d’un espace vide où rien ne se fixe, ni pensée, ni émotion, ni désir, pour que puisse apparaître le réel derrière le voile de l’illusion. C’est une philosophie de la négation, qui n’est pas un nihilisme comme on aurait tendance à le penser, en particulier depuis les travaux d’Arthur Schopenhauer. C’est une sorte de « théologie négative » qui par le « non » prononcé et vécu permet l’émergence de la réalité du monde. Ainsi, le méditant développe « mu-shin » le non-esprit, et « mu-nen », la non-pensée qui n’est pas absence de pensée ou d’esprit, puisque pensée et esprit sont inhérent à notre fonctionnement corporel. Mais il s’agit d’un état de non-fixation : les pensées filent et le méditant ne s’y attarde pas, les regarde couler comme une mer de nuage. Pour cela il doit combiner la posture juste du corps quand il fait za-zen et des gestes dans d’autres activités comme par exemple la cérémonie du thé, avec l’attention la plus juste, la plus précise, la plus claire possible sur ce qu’il est en train de faire et d’expérimenter. Une ouverture totale à l’expérience accentuée par un degré ultime de précision et de perfection du geste. Alors, le pratiquant peut espérer unifier le corps et l’esprit en un moment de perfection et ainsi se détacher du dualisme qui l’enferme dans la croyance qu’il est indépendant de ce qui se trame autour de lui.

L’interprétation philosophique du jardin du Ryôan-Ji rappelle la croyance bouddhiste selon laquelle aucune chose n’existe telle que les sens la perçoivent ou que l’esprit la conçoit sans toutefois signifier que rien n’existe vraiment. Une autre théorie veut que les pierres soient un rappel des dangers encourus par l’esprit : les passions, les désirs, les faux-semblants, qui menacent de faire échouer le pratiquant. Ou bien, le jardin ne symbolise rien du tout et par la pure abstraction de sa conception il serait destiné à inspirer un état méditatif.

Vacuité de la matière, vacuité de l’esprit (pixabay.com)

En effet, le jardin du Ryôan-Ji est d’une absolue simplicité qu’accompagne une certaine austérité créée par l’absence de végétation dans le rectangle et par l’utilisation unique de roches de différentes structures. De même, les pierres sont placées de façon asymétrique et, a priori, sans logique visible. Ce paysage pousse alors le visiteur a ne plus s’inquiéter des questions de sens et d’interprétation pour mieux regarder, écouter et donc entrer en méditation. Le jardin n’est pas un espace où l’on se promène ou que l’on cultive mais un objet en soi qui créé une tension intellectuelle entre le vide et la plénitude. Le jardin est une image des contradictions qui sont la réalité du monde. Le vide de la mer de gravier immobile et sèche ; la plénitude des rochers d’une matière inerte mais qui représente la vie, le souffle. Les rochers sont à la fois des paysages choisis par les maîtres jardiniers pour leurs figures propres, et ce sont des sculptures façonnées par la nature et utilisée comme telle. Comme face à un kôan, le méditant approche au-delà de la rationalité ces contradictions qui l’amènent à la compréhension immédiate et subtile de la Réalité et c’est cela l’Éveil, l’essence de toutes choses.

Les jardiniers japonais disent, quand ils conçoivent de nouveaux jardins, qu’il faut apprendre à écouter la voix de la pierre ainsi que de prendre le temps de regarder sa figure, avant de la choisir et de savoir où la placer dans le jardin. Les éléments naturels ont une voix et cet animisme n’est pas en opposition avec le bouddhisme bien au contraire, puisque toutes choses dans ce monde sont interdépendantes et fruit cyclique d’une infinie chaîne de causes et de conséquences (karma). Pourtant, les pierres si présentes dans les jardins zen sont des objets immuables, équanimes durant des millénaires, étrangères étrangement à l’impermanence de toutes choses : associées dans les jardins aux végétaux qui eux sont soumis aux aléas des saisons, et à la mort, elles peuvent alors nous permettre de comprendre les deux faces de la réalité, samsara et nirvana.


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