Il n’y a pas beaucoup de personnes que j’admire ici bas ! En fait il n’y en a que deux : mon meilleur ami (mais c’est une histoire passée) et Françoise Bonardel, qui fut mon professeur de philosophie à la Sorbonne. C’est une femme exceptionnelle, d’une intelligence vive et rare, brillante mais qui paraît, à ceux qui la connaissent peu ou mal, froide, cassante, étrangère. J’ai soutenu ma maîtrise de philo avec elle, cette maîtrise dont vous pouvez lire quelques extraits, parfois de-ci de-là sur ce blog, un travail sur le pessimisme, Schopenhaeur et Cioran. Ses domaines de recherche sont particuliers, et dans l’antique institution qu’est la philosophie en France, elle apparaît comme une marginale, s’intéressant à des sujets considérés comme marginaux voire pas du tout philosophiques. A la Sorbonne elle est professeur de philosophie des religions et du fait religieux, en collaboration avec Rémi Brague dont j’ai parlé longuement ici lors de la controverse à propos de Sylvain Gouguenheim (qui continue par ailleurs, mais ceci est un autre sujet). Elle a fait parlé d’elle, en 2001, lorsqu’elle fut jury de la thèse de Elizabeth Teissier (intime de François Mitterrand:-)) sur la sociologie de l’astrologie. Lors de la préparation de ma maîtrise j’ai appris un peu à la connaître, apprenant par exemple qu’elle était bouddhiste, qu’elle avait voyagé en Himalaya et entre autre au Ladakh et qu’elle avait connu Cioran quand elle était jeune !!
Ses recherches philosophiques l’ont mené sur des chemins que les rationalistes et les positivistes actuels appellent de traverses : elle a travaillé surtout sur l’alchimie, comme au début du XXe siècle C. G. Jung…par exemple dans Philosophie de l’alchimie éditée aux PUF. Elle travaille sur une possible confluence entre les différentes voies de sagesse que l’humanité a laissé en héritage, et comme c’est ma quête également, je ne peux être que passionnée. C’est le thème de son dernier ouvrage, sur Philosophie et Bouddhisme, paru chez l’Harmattan cette année. Quand j’ai vu le livre sur les rayonnages de la librairie Vrin, place de la Sorbonne, la grande librairie et maison d’édition de philosophie de la place de Paris, j’ai tout d’abord sourit : c’était exactement le thème sur lequel je travaillais moi-même. J’ai donc lu le livre avec grand intérêt et j’ai été bien surprise, déjà par la fluidité de la langue écrite de Françoise Bonardel. En effet, dans ses livres plus anciens, son style est parfois lourd, lyrique, compliqué, comme pour affirmer qu’un texte sur l’ésotérisme philosophique doit être immanquablement abscons et obscur lui-même. Ici en fait il s’agit de conférences, remaniées, qu’elle a donné à l’Université Bouddhique Européenne (où je me suis inscrite par ailleurs en ce début d’année universitaire… mais comme toujours, c’est une autre histoire). L’objectif est de comparer bouddhisme et philosophie dans ce qu’il pourrait y avoir de commun entre eux, mais surtout, finalement, dans ce qui les distingue. Françoise Bonardel met bien en garde, les néo-bouddhistes dont je suis, de ne pas être tenté par une enthousiasme irréel sur la convergence des vues orientales et occidentales ! Mais elle tente de mettre en parallèle alchimie et bouddhisme, dans l’idée centrale de transmutation de l’esprit : la sagesse, acquise par un renoncement, n’est pas la naissance d’une nouvelle entité mentale, mais la transformation de ce qui est déjà en nous.
La principale différence entre philosophie et bouddhisme se trouve dans ce que chacune des deux voies considère comme le Soi, l’ultime point dans cette quête. Pour le bouddhiste il n’y a pas de Soi, l’Eveil est un réveil sur la vacuité, il n’y a rien, plus rien derrière l’ego. Tandis que pour le philosophe, le Soi est une identification au divin, le néant des philosophe n’est pas vraiment aussi vide que la vacuité bouddhiste, il existe une substance, que l’on peut appelé indifféremment Dieu, Un, Tout, mais il reste quelque chose vers lequel le sage comme le mystique tend. Ceci c’est pas bouddhique.