Du livre à l’expérience… et vice versa

Tout le monde a connu ce phénomène qui nous fait retenir un passage d’un livre parce qu’il nous touche, appelle en nous une émotion plus profonde, fait écho à une expérience vivante ; il ne s’agit pas seulement de comprendre un texte mais de le savoir parce qu’on a vécu précisément ce que l’auteur décrit, avec des mots. C’est ce qui fait que certains romans sont des chefs-d’œuvre, car ils sont universels ; et chacun peut alors se projeter sur un personnage ou une scène. En philosophie ces phénomènes devraient êtres plus courant, ce qui n’est bien souvent pas le cas, car la philosophie contemporaine (mais en fait c’est le cas depuis fort longtemps… depuis l’ère chrétienne à vrai dire!) n’est plus qu’un amas de mots, de concepts la plupart du temps vides d’un sens vivant pour le lecteur, et plus grave, pour l’auteur lui-même. Seuls les philosophes de l’Antiquité peuvent porter ce nom, synonyme de recherche certes théorique mais avant tout d’une application, d’une expérimentation dans la vie quotidienne.

Jusqu’à présent, je cherchais dans les livres ces expériences que je pouvais comprendre, parfois vivre, mais avec un temps de décallage : les livres étaient mes modèles, des maîtres qu’il fallait suivre pour atteindre un petit degré de Connaissance. Aujourd’hui je fais l’expérience inverse : les livres de philosophie décrivent ce que je vis au quotidien. Et alors se pose la question : faut-il continuer à lire et même à écrire ? Puisque la vie a dépassé le simple cadre de la reproduction. Un exemple ? Je viens de terminer l’ouvrage de Walpola Rahula, L’Enseignement du Bouddha, d’après les textes les plus anciens – ce qui veut dire que l’auteur, de tradition Theravada, essaye de proposer une vision la plus ancienne (authentique ??) possible du bouddhisme. Certains passages frappent mon imagination car ils décrivent très exactement mes propres expériences :

« Il ne s’agit pas ici d’une attitude critique, de juger et de discerner ce qui est juste et faux ou bien et mal. Il s’agit simplement d’observer, d’être attentif, d’examiner. Ici vous n’êtes pas un juge mais un savant qui constate un fait. Lorsque vous observez et discernez clairement la vraie nature de votre esprit, vous devenez impartial vis-à-vis de ses émotions, de ses sentiments, de ses états, vous devenez ainsi détaché et libre, et vous pouvez voir les choses telles qu’elles sont. » p. 102

Comment expliquer le fait que chaque mot de ce passage sont pour moi non plus de simples lumières qu’il faudrait tenir allumer pour espérer voir dans les ténèbres, mais la sève de ce qui fait ma vie quotidienne à présent. C’est cela « connais toi toi-même » : c’est s’observer sans se juger, comprendre qu’il est temps d’arrêter de se faire du mal en toujours, sans arrêt, continuellement figer ses émotions en les étiquetant bien ou mal. « Je ne devrais pas être en colère… je ne suis pas une personne bonne… je m’enorgueillis de ma réussite…je voudrais être quelqu’un d’autre… je voudrais que ce plaisir dure… etc, etc » C’est cela la confusion mentale, le délire de l’esprit, la seule cause des souffrances mentales (voire même physique parfois!). Juste regarder les émotions, les pensées passer sans les attraper et surtout sans construire autour notre cinéma habituel : je peux vous assurer que le bonheur est au bout de cet exercice !

« Il n’y a pas de moteur immobile derrière le mouvement. Il y a seulement le mouvement. Ce n’est pas correct de dire que c’est la vie qui se meut, ce qui est vrai, c’est que la vie est le mouvement lui-même. Il n’y a pas de penseur derrière la pensée. La pensée est elle-même le penseur. » p. 47

Comment faire intuitionner seulement par des mots ce qui est ici une expérience vivante, celle obtenue dans la méditation, celle qui conduit à cette Réalité incompréhensible si on ne l’a pas réalisée : le Temps n’existe pas ! Il n’y a pas de Temps, pas de passé, présent, futur, il n’y a qu’un flux continu d’instants, toujours changeants, jamais parfaitement identiques, comme une respiration : c’est cela la Vie. Et dans ce flux continu la dualité s’efface : ni sujet ni objet, pas d’ego devant un monde, juste un grand vide vivant et respirant. Il n’y a plus que la poésie pour exprimer ces choses là…

L’autre côté du miroir est bien plus plaisant…

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