Volonté et puissance : le double tracas de la philosophe

Ce soir j’écoute Wagner et je lis Nietzsche (avis aux amateurs !!)… l’un ne va pas sans l’autre, c’est un couple stimulant… c’est comme manger une tartine de roquefort en buvant du sauterne… ou manger des huîtres et faire l’amour ! L’ouverture de Parsifal ou bien la musique des funérailles de Siegfried du Crépuscule des Dieux tourne sur ma chaîne reliée à mon ordinateur… à côté de moi mon exemplaire du Monde comme Volonté et comme Représentation de Schopenhauer baille lamentablement, une partie hors de mon bureau, à la page 359… de l’autre côté la Volonté de puissance volume 1 de Nietzsche est retourné pages en bas… le programme de l’opéra Siegfried de Wagner que j’ai vu dimanche, sa couverture verte éclatante et ses lettres bleues attend que je lise quelques lignes du livret, Acte III.

Je cherche à savoir ce qu’est la Volonté. Volonté de vivre, Volonté de puissance, libido… voilà trois termes, employés par trois esprits forts qui ont tenté de décrire ce qu’est cette force qui nous envahit, comme la musique, qui nous pousse à agir, à faire, à être ou bien à paraître. Faut-il s’y laisser aller ? Faut-il la nier ? Faut-il l’oblitérer ? 

Ne plus vouloir, voilà un constat intéressant et quand je réussis à le mettre en pratique, des moments torrides de liberté et de paix. C’est comme si tous les poids d’un monde d’illusion se déchargeait de mes épaules et comme si ma respiration, enfin libre, pouvait inspirer tout l’air de l’Univers. Se laisser aller aux flux du Temps, du présent inétendu … rien à voir avec l’inaction ou l’indifférence. Bien au contraire c’est une pure manifestation de l’Etre, celui qui est vraiment moi, non pas un ego translucide et transperce des milles flèches de la volonté naïve et passionnée.

Pourtant mon esprit alors se récrimine et demande sa dose de libido. Le désir est-ce la volonté ? Je ne pense pas… le désir n’est qu’un avatar poussif de ce qui nous pousse à être. Le désir est pourtant ce qui disparaîtra en dernier, je l’espère. Derrière la Volonté il y a la puissance… et là on touche au mystique et à l’indicible. Au tabou également, à ce qui fait peur aux troupeaux qu’abhorrait Nietzsche. La puissance ! Quand on la touche du doigt on se dit qu’il serait bien indigne de la refuser. Serait-elle le but et non le moyen ? J’en doute. Vouloir ne mène à rien, vouloir renoncer est une pure folie mais la seule envisageable. Pour Schopenhauer la volonté est la force intime du monde… et nous en sommes le miroir, l’individuation, elle s’exprime au travers de nous, de notre corps, de nos esprits. Ce constat est à peu près identique chez Nietzsche… les deux hommes se séparant à propos de ce que l’on en fait. Pour le premier il faut la nier, y renoncer, renoncer à cette vie de volonté qui n’est qu’une illusion… pour le second il faut au contraire lui dire oui, l’épouser pour y grandir, y forger sa propre valeur. Freud et Jung reprendront ce concept. La libido n’est rien d’autre que cette volonté de vivre qui nous pousse, qui engendre nos désirs. Je suis davantage portée, comme Jung, à y voir un ensemble de forces vives bien plus étendues que la simple pulsion sexuelle, sublimée ou non. Volonté de puissance : ce n’est rien d’autre qu’un égoïsme mal compris par la plupart des gens. Ce dont j’ai peur, sur mon propre chemin, comme d’autres avant moi, c’est de me laisser subjuguer par la violence de cette volonté de puissance : sa fascination n’a de cesse de me faire perdre l’équilibre précaire que je construit pas à pas en tentant d’y renoncer. Car, contradiction suprême, ironie de la philosophie dont personne ne parle dans les livres : quand vous renoncez à la volonté de puissance et de vivre, votre puissance s’accroît… le lâcher prise démultiplie la puissance intrinsèque d’un ego qui se nie et qui n’existe plus pour l’illusion. Je pense que c’est là que bien des entreprises spirituelles ont basculé dans la prise de pouvoir irréversible. Puissance n’est pas pouvoir ! Le fil est tendu et je joue aux équilibristes. 

« Les mouvements sont des symptômes, les pensées également sont des symptômes : derrière les uns et les autres nous pouvons saisir des désirs, et le désir fondamental, c’est la volonté de domination. « L’esprit en soi » n’est rien, le « mouvement en soi » n’est rien non plus. » Nietzsche, La Volonté de puissance, volume 1, p. 221 Pensées et actions sont des maladies, rien d’autre que les illusions qui cachent la vraie raison de notre existence, le désir de puissance, la volonté d’être au-dessus des autres, des lois, d’être nous-mêmes surtout différents des autres et de tout l’univers. Unique(s).

Trauermarsch (la marche funèbre de Siegfried), Götterdämmerung, acte III que je vais voir bientôt… en espérant que cela ne soit pas prémonitoire ! Cette musique me donne des frissons… Les Dieux sont morts… il ne faudrait pas s’en réinventer d’autres.

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