Il faut être fou

J’ai fait 12 ans de conservatoire !! Attention… c’est du lourd. Classe CHAM qu’à l’époque on appelait classe à horaires aménagés : l’école le matin et trois après midi par semaine au conservatoire pour classe de solfège ou d’instrument. Et ce dès 6 ans !! J’ai appris le violoncelle, un instrument difficile à maîtriser comme tous les instruments à corde. Il faut au minimum 10 ans pour maîtriser la technique.

Le système du conservatoire français est un Enfer… il n’existe (même de nos jours) que pour former une élite. Pas question d’être juste un amateur dans ses couloirs, tout est fait pour que les élèves deviennent des professionnels. Comme tous ceux qui sont passés par ce système mon constat est double : oui, certes, je maîtrise un instrument de musique, j’ai acquis une technique très peu accessible et hautement qualifiée ; quand je vais à un concert, quand je regarde les violoncellistes, je peux sentir la corde sous mes doigts. J’ai acquis une mémoire corporelle : l’instrument et la musique font partie de moi. Je n’ai pas besoin de réfléchir pour lire les notes ou pour les jouer. C’est en moi… mais à quel prix ! L’apprentissage de la musique est, il est vrai, très difficile et demande une extrême rigueur. Mais est-il besoin pour cela de traumatiser (et j’emploie ce mot en pleine conscience) de jeunes enfants pour leur inculquer à grand coups de mépris, de jugements péremptoires et de travail forcé, les arcanes d’un art ? Quand je vois les milliers de gens qui s’éclatent avec un instrument sans savoir la musique, je me dis que pour moi le chemin du plaisir est encore long.

Parce que le conservatoire vous apprend la technique mais certainement pas la musique. Ce n’est qu’il y a quelques années, quand j’ai repris des cours particuliers avec une jeune violoncelliste de l’Orchestre de Paris, que j’ai compris ce qu’était faire de la musique, respirer, sentir l’instrument sous mes mains… tout cela on ne me l’avait jamais appris. Et quand aujourd’hui je vois, sur mes vieilles partitions, mon professeur écrire en gras « justesse et musicalité », je me dis qu’il aurait bien pu me laisser le bénéfice du doute. Comment voulez vous, à moins d’être un prodige, avoir une musicalité ancrée en vous à 11 ans ? En tout cas je n’en était pas capable. Alors, j’étais la bonne élève à l’école, mais j’ai très vite été cataloguée, par mes camarades, mes professeurs, ma famille, comme très médiocre en musique ! Et je peux vous assurer (c’est la future psy qui parle) que ce genre d’expérience laisse des traces pendant longtemps… encore faut-il s’en rendre compte.

Ce qui a été le plus difficile se sont les jugements incessants : deux examens d’instrument par an et autant de solfège. J’ai plusieurs fois redoublé mes classes d’instrument, avec à chaque fois la hantise d’être exclue du collège où j’étais inscrite, car ce n’était pas mon collège de secteur, et donc la peur de perdre mes amis, mes repères ! A presque 40 ans (eh oui…) ces moments de ma vie passée me sont encore très pénibles, et je me demande s’ils ne sont pas le fondement de bien des soucis ultérieurs !

Cet été j’ai fait un stage de violoncelle en pleine Normandie, où ces états d’esprits me sont revenus en pleine figure. Quelle drôle de sensation que de se retrouver, face à la jeune professeure qui animait le stage, comme une gamine de 9 ans, à me stresser parce que je n’arrivait pas à jouer correctement mon morceau. Quel beau transfert… c’est un cas d’école celui là 🙂 Voilà pourquoi, ce soir, je me dit que je doit être bien folle de vouloir y retourner. Je me suis inscrite au conservatoire de Saint Nazaire et mardi prochain je passe une petite audition pour voir à quel niveau je me situe. Encore des hiérarchies, des catalogues… Je me dis plusieurs choses. Tout d’abord que pour une fois, si je ne suis pas heureuse dans cet endroit, j’aurais la liberté de le quitter… ce que je ne pouvais faire étant enfant. Ensuite, j’ai pris goût finalement à mon instrument, et je sais qu’il n’y a qu’avec un regard extérieur que je pourrais reprendre ma progression et surtout jouer seule n’est pas motivant. Enfin, que cette expérience peut être un formidable terrain pour apprendre sur moi, sur ma psychè, sur nos fonctionnements… retour en Enfer ou comment, à l’instar d’Ulysse, descendre dans le royaume d’Hadès pour chasser les ombres de son passé.

Mardi je vais jouer l’Allegro de la Sonate III de Vivaldi… ça donne à peu près ça (3mn40 après le début de la vidéo)… mais rassurez vous je ne joue pas à cette vitesse ! http://youtu.be/Yd8Be3zZ2bE

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