Thanatos kai Eleutheria

« La préméditation de la mort est préméditation de la liberté. Qui a appris à mourir, il a désappris à servir. » Montaigne

« Méditer la mort, c’est méditer la liberté ; celui qui sait mourir, ne sait plus être esclave. » Sénèque

Montaigne, auteur des Essais au XVIe siècle, est un hériter de la philosophie stoïcienne du IIIe siècle avant J-C dont Sénèque était un représentant à l’apogée de l’Empire Romain.

Pourquoi la mort et la liberté sont-elles mises ainsi côte à côte dans ces deux phrases qui se ressemblent, comme si Montaigne avait paraphrasé Sénèque plusieurs siècles plus tard ?

Ce n’est pas tout à fait la mort elle-même qui est envisagée, mais l’idée de la mort. Tout le monde, un jour ou l’autre, envisage sa propre mort, imagine ou tente d’imaginer ce que peut être le monde sans lui ou elle, ou ce que peux bien être cet état de néant ? Mais comment penser notre non -existence ? L’intellect humain est trop limité pour envisager cet état, un peu comme il est difficile de comprendre l’infini de l’Univers. C’est ce que dit Epicure dans sa fameuse Lettre à Ménécée :

«  Donc la mort n’est rien pour ceux qui sont en vie, puisqu’elle n’a pas d’existence pour eux, et elle n’est rien pour les morts puisqu’ils n’existent plus. »

L’idée de mort est une préméditation de ce futur angoissant. On pourrait croire qu’à trop se pencher sur cette idée macabre, notre âme se colorerait elle aussi de noir. Penser à la mort serait une activité triste. Alors on éviterait cela, on fuirait cette pensée morbide, par exemple en la chassant à coup de plaisirs de toute nature ou de distractions, de divertissements les plus futiles les uns que les autres. N’est-ce pas d’ailleurs ce que notre société du spectacle nous propose : oublier la mort grâce à tout un tas d’artices, de gadgets, de technologies, d’images, etc… ?

C’est ce que Pascal dit dans ses Pensées :

« J’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre. »

Pour Sénèque et Montaigne, au contraire, il faut se familiariser avec l’idée de notre mort, sans pour autant en faire une obsession. Il faut méditer sur ce futur, comme ces moines bouddhistes qui restent plusieurs jours en méditation devant des cadavres en décomposition pour comprendre le principe de l’impermanence.

Méditer sur la mort pour l’apprivoiser, ne plus la craindre.

Mais en quoi ces pensées pourraient nous rendre libres?

C’est justement parce que la peur de la mort est l’angoisse finale, c’est cette peur qui nous enchaîne et nous empêche de vivre et d’agir. La conscience de notre mortalité, de notre finitude est souvent ce qui freine nos désirs et nos passions. Apprendre à mourir « par avance », c’est apprendre à être libre, à se détacher véritablement de ces chaînes, à se défaire de cette peur en l’anticipant, en intégrant cette idée de la mort à notre vie même, en en faisant une force et non plus une faiblesse, en se jouant de notre mortalité pour vivre ici et maintenant et non plus dans la peur du futur.

 Etre libre c’est donc vivre dans le présent, être à ce que l’on fait, à ce que l’on pense, avec qui on est dans l’instant sans conserver dans un coin de notre tête la crainte maladive de notre mort certaine. Notre vie est souvent gâchée par cette tendance toute humaine de penser au futur, à ce qui va se passer, à ce qui va nous tomber dessus, à prévoir, envisager, faire des plans qui, de toute façon, ne seront jamais réalisés, car la réalité de la vie est toujours différente de ce qui se passe. Etre libre c’est profiter de l’instant (carpe diem), en sachant bien que tout passe et que cela aura une fin, mais en ne s’attristant pas au demeurant sur cet arrêt brutal de la vie.

Le précepte de Sénèque et de Montaigne nous engage à regarder la mort, c’est-à-dire notre réalité humaine, face à face, de ne pas esquiver l’évidence pour faire tomber le masque de la grande faucheuse ; Cela demande un certain courage et de la patience, car cet exercice spirituel doit être renouvelé comme un entraînement de sportif pour qu’il porte ses fruits.

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