Au final, je n’ai pas aimé ce livre. J’aime la pensée de Misrahi car c’est un penseur spinoziste, et que chemin faisant, il ne reste vraiment que Spinoza pour m’empêcher de sombrer dans le désespoir. J’aime beaucoup sa volonté, sa puissance volontaire à vouloir diffuser l’éthique spinoziste pour qu’elle imprègne, davantage que ce n’est le cas aujourd’hui, notre société. J’aime les concepts spinozistes de Liberté et de Joie, cette béatitude exprimée tout à la fin de l’Ethique. Dans ce petit livre, Misrahi sait a merveille remplacer l’idée de morale par l’idée de Joie. C’est fondamental si on veut transformer l’Amour au XXIe siècle. Et c’est ce qu’il compte faire ici. J’aime beaucoup l’idée qu’un philosophe écrive sur l’Amour, ils sont peu nombreux, Comte-Sponville avait tenté la même chose.
Mais au final, tout cela reste des histoires d’hommes. C’est un livre écrit par un homme, qui s’adresse aux hommes et qui défend encore et toujours une vision masculine de l’amour. Des preuves ? Tous les exemples présentés par Misrahi dans ce livre, tous les exemples d’un trio sont toujours ceux de deux femmes autour d’un homme. Nous ne sommes pas là dans le XXIe siècle !
On a vraiment la sensation que ce livre sert à l’auteur de justification de sa propre vie sentimentale. Et on est très mal à l’aise, après les chapitres descendant en flèche les « papillonnages » et autres « libertinages » de Sartre et du Castor ou de nos contemporains, englués selon l’auteur, assez condescendant je dois l’avouer, dans des souffrances et des humiliations bien méritées, quand il essaye de nous faire croire que sa propre vie amoureuse, bien sûr ternaire, avec deux femmes à la clé, était très très différente de tout ce bazar !
Selon Misrahi, pour se défaire des affres de la monogamie qui ont, et ce n’est plus un scoop, écrasés des millions d’individus depuis des siècles, il faut se « convertir » à l’amour vrai. Qu’est-ce que cela ? C’est l’amour qu’un sujet libre, défait de ses pulsions et de ses spontanéités amoureuses, de la « passion » en somme, qu’en juste Spinoziste il considère toujours comme Tristes en amour. C’est l’amour qu’un sujet désirant, c’est-à-dire agissant et conscient de son acte, porte à un autre individu. C’est l’amour d’un sujet ayant atteint un degré supérieur de liberté, avec un regard conscient et franc, sincère sur ce qu’il est et ce qu’il fait. Pour ma part, je suis totalement convaincue que cette quête de liberté telle que l’envisage Spinoza mais aussi Sartre justement, une liberté qui n’est pas a priori mais qui se construit par les actes successifs de l’individu, est une des clés de nos relations humaines et donc amoureuses.
Ce que je n’accepte pas c’est de sentir chez cet auteur que pourtant je respecte un tel usage de sa pensée, qu’il légitime son expérience par son discours philosophique, sans vraiment prouvé qu’il puisse proposer une réelle nouveauté.
Car la solution de Misrahi pour éviter les drames des trahisons, des jalousies, des humiliations de l’amour, c’est l’amour discret. Le livre m’est tombé des mains à partir de ce moment là. Je n’ai pas compris, comment après avoir autant critiqué avec mépris parfois les aléas de nos contemporains pris dans les pièges de la vie amoureuse actuelle, cet auteur ne nous proposait qu’un cette copie de ce qui se vit tous les jours. Les justifications qui, dans la suite des pages, tentent de faire croire au lecteur qu’un amour discret, création d’esprits philosophes convertis à la Liberté, serait très différent du simple cocufiage qui remplis les pages des magazines, sont assez pathétiques.
Et je n’ai pas non plus aimé ces lignes où la plus terrible des justifications est de nous dire qu’il peut arriver, dans un couple, qu’un des amant ait déjà fait sa « conversion » à la Liberté, soit donc arrivé au stade de l’amour philosophique, tandis que l’autre partenaire (par exemple une femme qui serait restée une « femme-enfant »!) n’aurait pas encore atteint ce stade. Cela légitimerait donc pour le partenaire (car bien sûr ici ce ne peut être qu’un homme) de pouvoir, grâce à sa conversion, entretenir un autre amour, discret celui-là.
En fait, je tiens entre mes mains un nouvel exemple de phallocratie. Cela me peine, mais cela m’étonne assez peu. Misrahi est un vieux monsieur, qui ne connaît pas les évolutions très récentes de notre société, celles où les femmes peuvent elles aussi avoir droit à plusieurs amours, car non, elles ne sont pas que faites pour couver leurs petits !
J’aurais aimé lire dans ce livre un peu plus de courage, par exemple en nous expliquant que si on atteint cette formidable liberté, celle qui nous permet de nous défaire de tous les carcans de la société mais aussi de nos propres peurs et angoisses affectives, alors on peut décider en conscience soit de vivre avec une seule personne soit au contraire, si on désire autre chose dans sa vie, de tenter l’aventure des amours multiples, mais sans créer un attachement plus particulier avec l’un ou l’autre des partenaires. Ce que je n’ai pas aimé dans ce livre, c’est que Misrahi nous raconte vraiment sa vie sentimentale : il semble donc avoir été marié ou du moins avoir entretenu une relation exclusive avec une femme, mais une autre personne est entrée dans sa vie. Ne voulant pas renoncer à son bien premier (les hommes aiment leur confort) il s’est donc inventé cette légitimation de l’amour discret et libre. L’humiliation et la souffrance ont bien dû exister pour la première épouse, n’en déplaise à l’auteur, puisque manifestement, elle n’avait pas atteint ce stade de conversion amoureuse.
Je suis donc très déçue par cette lecture qui, au début du livre, m’avait passionnée, car j’aime les concepts spinozistes. Mais je n’y ai trouvé qu’un énième livre sexiste… et dire que la veille je venais de passer mon après midi à lire L’amour ne dure que 3 ans de Beigbeder !!