Petit Pays de Gaël Faye

indexLe premier roman de Gaël Faye est un fruit tropical qui sous une douceur sucrée cache un noyau amer et dur.
Ce livre n’est pas un roman de style, l’écriture n’a rien d’extraordinaire (il faut dire que je suis en train de lire la Recherche de Proust, donc à peu près tous les romans francophones que je lis à côté ont l’air d’un fade…). C’est un roman de l’enfance, et pour le coup ce n’est pas trop non plus ma tasse de thé. C’est un roman de l’Afrique, continent que je ne connais pas. C’est aussi un roman de la nostalgie, de celle que l’on ressent quand on revient sur ses pas ou quand on revit des souvenirs. C’est enfin un roman de l’initiation à l’âge adulte, qui pour certains d’entre nous se fait sous fond de violence rouge.
Les trois quart du roman sont les pages de l’insouciance, des gamins au fond d’une impasse dans la capitale du Burundi, Bujumbura. De jeunes garçons, métis, nés des amours colonisateurs d’hommes blancs orgueilleux, racistes et de femmes noires sans doute prêtes à croire à l’amour pour vendre leur ventre. Je me suis souvent demandé, au travers de ces lignes, ce que cela doit être de vivre entre deux cultures, de se sentir à la fois d’Afrique et d’Europe. Je trouve que le roman montre plutôt bien cette déchirure qui pour le héros de Gaël Faye, Gabriel dit Gaby (que l’on sent très autobiographique), est la logique même de son existence. Mais j’avoue aussi que ces pages d’aventures de garçons du fond de l’impasse peuvent être longues, et on ne comprend pas vraiment, quand on les lit, l’intérêt de les raconter.
Puis vient la blessure, la déchirure : la guerre, civile mais aussi montée par les Français, qui couve au début des années 90 au Rwanda et au Burundi déboule au milieu de la vie du petit héros. Cette partie de l’Histoire, je l’ai vécu en tant que spectatrice, dans mes années jeunesse, à la télévision comme tout le monde. A l’époque déjà je ne comprenais pas grand chose, et encore aujourd’hui je suis incapable de dire qui sont les Hutus, qui sont les Tutsis, qui sont les « gentils », qui sont les « méchants », qui sont les riches qui sont les pauvres, qui sont les bourreaux, qui sont les victimes. J’ai juste compris très vite que c’était bien un génocide, qu’il s’agissait bien d’une guerre d’extermination raciale, même si comme plus tard en Yougoslavie, avec « l’effet kilomètres », on ne comprend pas bien pourquoi ces gens qui vivent dans le même pays, qui ont la même culture s’entretuent ! Mais bien sûr, c’est une vision éloignée et ignorante des toutes les réalités, de toutes les situations, impossibles pourtant à connaître.

Le tiers restant de Petit Pays est la tombée de Gabriel dans les filets de la guerre, de sa violence gratuite, de la haine, de la mort, du massacre. On est submergé, comme le héros, par la peur et la cruauté. On se demande même jusqu’à quel point le livre est autobiographique ! Ce qui est très bien mené dans ce premier roman c’est que l’on reste scotché au point de vue du narrateur, le petit garçon, et donc que l’on comprend mal les tenants et aboutissants politiques et géopolitiques du conflit et de la région. Pour ma part cela m’a donné envie d’aller lire d’autres livres, d’histoire ceux là, pour comprendre enfin vraiment cette guerre. L’autre réussite à mon avis est que l’on est comme Gabriel totalement abasourdis par la violence qui lui tombe dessus : les trois premiers quart du livre qui nous ont raconté des moments de bonheur enfantins ne nous préparent pas du tout à la noirceur, la barbarie qui se déchaîne à la fin du livre, comme le héros lui-même qui tente de se réfugier dans les livres d’une veille femme grecque réfugiée aussi dans l’impasse. J’ai trouvé que cette mise en abyme était très intelligente : nous aussi nous lisons un livre, qui nous tient à distance de la guerre, et pourtant l’auteur réussit à nous faire frémir, comme le héros, devant l’étendue du massacre et ses conséquences psychologiques pour les survivants. C’est très fort, émotionnellement et pour le caractère romanesque.

Voici une autre façon pour l’auteur, auteur et compositeur également, de raconter son histoire.


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8 commentaires sur “Petit Pays de Gaël Faye

  1. J’ai beaucoup aimé ce roman mais je n’ai pas trouvé que les descriptions du début étaient longues ou inutiles ; au contraire, elles m’ont permis de bien m’imprégner de l’ambiance et du bonheur de ces gamins qui ne demandaient rien d’autre que continuer cette vie-là, faite d’insouciance et de joie. Cela met mieux en lumière la cassure qui suit avec l’arrivée de la guerre. Après pour le style, c’est sûr qu’à côté de Proust… 😉

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  2. C’est vrai le roman est fait de deux parties distinctes. L’enfance de Gaby, assez heureuse et la charnière qui fait basculer le roman dans la violence. D’après ce que j’ai lu sur internet, l’auteur semble dire qu’il ne s’agit pas d’un roman autobiographique. Pourtant, beaucoup de points communs avec la vie de cet artiste.

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    1. En fait cette vision autobiographique a été évoquée par l’auteur lui-même lors de l’émission La grande Librairie sur France 5 où il était invité pour la rentrée littéraire.

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  3. Bravo pour ta chronique, tu as très bien retranscrit le livre. Moi en revanche, j’ai été épatée par la plume de l’Auteur mais il est vrai que je n’ai pas lu Proust en comparaison ^^

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    1. Ce qui est bien avec Proust c’est que tu as un étalon, même si c’est un peu insurpassable (si tu aimes Proust bien sûr) ! Mais je trouve que c’est bien « pratique » pour se faire une idée d’un livre francophone, quand on s’attache au style… par exemple je suis en train de lire Leïla Slimani, Chanson Douce, qui a gagné le Goncourt et je trouve que par rapport à Gaël Faye justement (qui était dans la liste des nominés), c’est vraiment mérité car le style de Slimani est vraiment travaillé, percutant… c’est presque le contraire d’un Proust, mais on sens que c’est recherché, qu’il y a une tension stylistique que je n’ai pas trouvé chez Faye.

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