Je voudrais partager ici avec vous lecteurs et lectrices, et peut-être futur-es bachelier-ères dans un mois, 5 astuces pour réussir, selon moi, une bonne dissertation de philosophie. Au-delà d’une méthode que l’on trouve un peu partout et qui est bien souvent qu’une recette que l’on tente d’appliquer sans savoir trop ce que l’on fait, je vous propose 5 points clés qui me semblent, après plusieurs années d’enseignement de la philosophie, essentiels pour s’en sortir.
1° triturer le sujet de la dissertation et chercher la contradiction
Les sujets de dissertation de philo, surtout au bac, sont (normalement) pensés pour créer une contradiction entre plusieurs notions ou termes du sujet. Ils mettent en difficulté, remettent en cause une évidence, un bon sens premier qui serait un a priori. Par exemple dans « Peut-on apprendre à être libre », la contradiction de l’évidence se trouve dans le fait qu’a priori on affirme depuis 200 ans que l’on naît libre, mais pourtant, puisque ce serait une condition de la nature humaine, il faudrait apprendre à l’être, à le devenir, la liberté serait un savoir et non plus un acquis !
Je dis souvent qu’il faut « triturer » le sujet, prendre les mots et les mettre dans tous les sens : c’est l’importance du brouillon et surtout du temps de réflexion avant l’écrit lui-même. En quatre heures d’examen, il faut bien passer 45 minutes voire une heure à réfléchir aux mots du sujet et être capable (cela par l’entraînement régulier à faire des dissertations) de savoir si on a ou non été explorer toutes les facettes des termes et donc du sujet.
2° définir les termes du sujet de la dissertation
c’est le point le plus important, pour éviter les hors sujet ou surtout les réponses « à côté de la plaque » en oubliant une partie du sujet. Pour définir les mots du sujet, il faut réfléchir à ses synonymes, à ses contraires, aux champs lexicaux qui s’y approchent, pour essayer de creuser toutes les facettes, toutes les polysémies d’un mot. Ne jamais oublier le verbe qui est souvent le pont et le cœur de la problématique dans un sujet qui pointe vers deux notions.
Ainsi dans le sujet « Peut-on agir moralement sans s’intéresser à la politique », on voit bien que les deux notions du programme abordées sont la morale et la politique (Etat, justice, liberté). Mais si on s’arrête à cela, on risque seulement de déballer le cours, ce qui n’est pas faire une dissertation. Les deux notions sont liées par les deux verbes « agir » et aussi « s’intéresser à ». Rien que la mise côte à côte des deux verbes permet de voir une piste : pour agir il faut être motivé, il faut vouloir agir et connaître son sujet. Rapporter cela au double thème de la morale et de la politique, et vous commencez à vraiment réfléchir au sujet.
Les définitions des notions clés du sujet, qui sont souvent des notions du programme, peuvent être des définitions apprises pour l’occasion. Mais il vaut mieux se préparer à l’avance un glossaire personnel de définitions que l’on aura constitué au fil de ses lectures et de ses réflexions. Pourquoi cela ? Tout simplement parce que toute la dissertation est basée sur ces définitions et que si elles ne nous appartiennent pas réellement, si on ne les a pas fait siennes, on risque de développer une réflexion qui ne correspond pas du tout aux définitions données en introduction. Parce que instinctivement, quand on écrit, on le fait en fonction de ce que l’on pense vraiment… même si parfois dans un écrit on est amené à tenir un discours qui n’est pas le nôtre mais celui d’un cours ou d’un point de vue autre.
3° penser comme un scientifique et penser par soi-même
Une dissertation de philosophie se construit un peu comme une démonstration scientifique. On pose une hypothèse, c’est l’idée que l’on a choisit pour répondre à la question ou à la partie de la réponse à la question. Cette idée doit être considérée comme une hypothèse, et garder en tête un « si » qu’il faut démontrer ensuite par le développement de cette idée. C’est le moment de l’observation : on tourne autour de l’idée, on essaye d’en regarder les moindres recoins, les moindres zones d’ombres pour être sûr qu’elle est bien comprise, par soi d’abord mais surtout par le lecteur-correcteur ! Ensuite vient l’illustration que l’on a tendance à trop centrer sur la citation d’une phrase d’un philosophe. Je reviendrai sur cette question. L’exemple doit surtout être un moment de respiration dans la réflexion, une image qui nous permette de mieux comprendre l’idée-hypothèse et qui permette ensuite de la valider ou non.
4° faire des liens pour illustrer
On n’a pas besoin de connaître des tonnes de citations ou de références, ce qui compte c’est l’a propos de l’exemple, sa parfaite coïncidence avec l’idée développée qui en fait sa force. Il faut savoir trouver dans sa propre culture personnelle ce qui est adéquat, donc se faire une culture riche et diversifiée. Et c’est là toute l’inégalité de l’exercice, en plus de la maîtrise de la langue écrite. Quand je corrige le baccalauréat, j’ai souvent des surprises de taille quant aux exemples proposés par les candidats. Une année, une copie a illustré tout son propos avec uniquement des références aux dessins animés de Walt Disney. Une autre année, sur un sujet sur la liberté, j’ai eu plusieurs fois comme exemple la chansons phare de Florent Pagny « Vous n’aurez pas ma liberté de penser ».
Il se joue ici le cœur même des problèmes de l’école française : je ne pense pas que Disney ou Pagny ne soient pas de la culture, mais je doute fortement que cela soit cette culture-là que l’on attend d’un ou d’une bachelière. Que l’on cite Pagny ou Disney dans une dissertation de philosophie ne me choque pas, mais que l’on ne cite que cela, que ces exemples ne soient pas pertinents ou qu’ils soient les seuls instants de culture du texte, c’est cela le souci fondamental. Et comme par hasard, les copies qui maîtrisent la langue écrite sont souvent aussi celles qui maîtrisent une certaine forme de culture qui n’est pas que savante, mais qui permet de montrer un certain niveau de réflexion. Une partie de mon travail consiste à se battre contre cette inégalité…
Pour autant, la difficulté n’est pas forcément d’avoir de la culture, mais de savoir se servir de celle que l’on possède. La véritable intelligence est celle qui fait des liens, et toute l’ambition d’un écrit de philosophie est de montrer au lecteur que le candidat est capable d’aller chercher dans sa mémoire (qui n’est pas celle d’un poisson rouge), des exemples, des références, des illustrations qui correspondent à ce qu’il veut dire. C’est pour cela que le principal travail d’un bachelier durant l’année de terminale, pour la philo mais aussi pour toutes les autres épreuves dans leurs genres, est de se constituer sa propre culture, littéraire, artistique, scientifique, technologique, peu importe, mais sa matière dans laquelle il sera capable de puiser le moment venu pour construire son discours personnel.
Car oui, penser c’est avant tout penser par soi-même. On vous dit souvent qu’une dissertation ne doit pas comporter d’avis personnel… je n’ai jamais compris cette assertion ! Qui pense alors dans une copie ? Ah oui… c’est sans doute le prof qui pense à votre place, ou bien le cours que l’on « recrache ». Cette méthode n’a jamais fait florès au bac. Une copie de philosophie ne doit pas être parsemée de « je » intempestifs qui mèneraient le lecteur sur les routes d’une subjectivité, souvent très limitée à des anecdotes ou justement à des illustrations genre Disney. Penser par soi-même veut simplement dire que le choix des définitions, celui d’une problématisation, d’un axe de réflexion et donc par conséquence d’un développement, sont totalement personnels.
5°Dérouler sa pensée comme Dumbledore dans sa pensine
Ma dernière astuce a comme image une scène célèbre de la littérature contemporaine : celle du professeur Dumbledore qui, pour partager ses souvenirs et aussi ne pas s’en encombrer, utilise sa baguette magique pour effilocher cette matière laiteuse et la placer dans la pensine.
Bon je sais… je viens d’expliquer qu’il n’est pas toujours bien venu d’illustrer son propos par un exemple trop « facile »… sauf que là je trouve que l’image est assez bonne et surtout que lorsque je l’explique à mes élèves, ils comprennent tout de suite ! L’idée est, et c’est sans doute le plus difficile quand on écrit une dissertation de philosophie, que le candidat doit avoir la capacité à mettre en mot la totalité de sa pensée, d’étaler sur le papier de la copie et avec la plume de son stylo (image de la pensine et la baguette magique du monde des sorciers) le déroulement précis de sa réflexion. La plupart du temps, les travaux de philosophie sont limités, justement parce que beaucoup de candidats ne développement pas leurs idées, en croyant, consciemment ou non, que quelques mots suffisent. Mais le lecteur-correcteur n’a pas la clé du cerveau adolescent, le média est justement cet objet étrange qu’est la copie et si parfois on peut faire l’effort de chercher ce qui se cache sous les balbutiements d’une réflexion posée, il est tout de même plus aisé d’avoir à lire une pensée qui déroule facilement son argumentation. C’est un peu, autre image, comme étaler une pâte à tarte : il ne doit rester aucun plis et tant pis si cela déborde sur les côtés. Dans ce cas, mieux vaut trop que pas assez.
J’espère que ces quelques conseils, issus d’une réflexion personnelle face aux difficultés rencontrées par les élèves et surtout des exigences réelles comprises après des années de correction du bac, vous permettront de briller le jour fatidique. Tout cela étant bien sûr conditionner au fait d’avoir écrit, écrit et écrit tout au long de l’année.