Au moment de Noël j’ai un rituel personnel, qui me vient de mon enfance, et que j’aime répéter seule, chaque année. Un après-midi de l’Avent, chez une camarade de classe, j’ai vu pour la première fois la série très connue des films de Sissi, impératrice d’Autriche, avec la merveilleuse Romy Schneider. Quand on a 11 ans, ça vous glace le sang… on est scotchée devant les robes à crinolines, la beauté blonde de l’Empereur joué par Karlheinz Böhm le fils du chef d’orchestre (!), la folie des bals à la cour de Vienne, la puissance du destin qui pourtant est, dans cette trilogie de Ernst Marischka, bien en-dessous de la réalité. Bref, on se laisse porter par le conte de fée…Plus tard je me suis intéressée, historienne je reste, à la vraie histoire d’Elizabeth d’Autriche, une femme plutôt compliquée dans un monde d’hommes et elle est devenue une image que j’aime à appeler, comme aussi celle d‘Alexandra David-Néel . Je suis même allée à Vienne, en amoureux bien sûr :-), et j’ai visité Schönbrunn, les appartements de l’Impératrice, sa salle de bain où sont exposés ses objets personnels, les barres de gymnastiques placée au-dessus de sa porte. Les Autrichiens cultivent le filon, avec bonheur, un peu comme les Français à Versailles avec Louis XIV : au moins nos monarques rapportent à présent de l’argent !
Et donc, tous les ans, plus ou moins régulièrement, j’aime bien ce moment de nostalgie pré-pubère, soit en K7 vidéo enregistrées par mes soins, soit en DVD achetés il y a peu, ou directement à la télévision quand une des grandes chaînes nationales se plaît à programmer cette série culte. Pourtant, cette année, mon plaisir fut un peu gâché par une pensée, que j’ai déjà eu auparavant, mais qui aujourd’hui résonne avec bien plus de force et d’évidence. Il faudrait en fait que les films de Sissi soient absolument interdits aux jeunes filles de moins de 16 ans, parce que pour tout dire, c’est une véritable catastrophe psychologique et humanitaire. Ce sont ces films qui entretiennent l’illusion du Prince Charmant, ce grand gigolo que toutes les femmes (j’ai bien écrit toutes!) de cette planète espèrent un jour rencontrer et pourquoi pas aimer ! Cette illusion est tellement prégnante que même en connaissant l’histoire du couple impérial, la réalité de leurs rapports intimes (en particulier la première nuit qui fut un désastre) et surtout l’indépendance de vue mais aussi la psychopathie d’Elizabeth, on reste englué dans le concept d’Amour et de Bonheur tels que présentés ici. Que de dégâts ces illusions ont fait de part le monde, et dans mon propre esprit… qu’il a fallut des années pour se libérer d’une emprise bien plus virulente et empoisonnée que toutes les violences ou même pornographies que l’on peut voir sur les écrans, télévisuels ou informatiques.
Si les Idées – eidos en grec – sont les Formes de l’Intelligible, comme l’affirme Platon, et que seule la vie du Sage permet de les contempler, je reste pour ma part persuadée, dans mon pessimisme joyeux, que ce Monde est notre propre représentation, que nous le construisons et projetons depuis notre esprit prit dans les voiles de l’illusion, et qu’il s’agit là de la source de toute souffrance – duhkha en pali.