Vous avez vu… Cioran vient d’être publié par la Pléïade ! Je ne crois pas qu’Emil aurait apprécié la distinction. C’est vraiment étrange de penser que Cioran fait partie d’une certaine forme d’académisme. Il est devenu très Bo-Bo même si la plupart de ses lecteurs ne savent pas quand il faut rire de ses saillies. Quand j’ai le moral un peu bas (comme présentement) j’aime bien lire au hasard quelques aphorismes et toujours, cela me remet en joie et me désennuie de la vie. Comme si la vision du tragique, du ridicule, de pathétique de notre humanité me mettait du baume au cœur : c’est du pessimisme joyeux je vous dit !
Je viens d’ouvrir les œuvres complètes de Cioran chez Gallimard et je tombe sur cet extrait d’Histoire et Utopie, en bas de la page 1021 : « Pour que nous puissions conserver la foi en nous et en autrui, et que nous ne percevions pas le caractère illusoire, la nullité de tout acte, quel qu’il soit, la nature nous a rendus opaques à nous-mêmes, sujets à un aveuglement qui enfante le monde et le gouverne. Entreprendrions-nous une enquête exhaustive sur nous-mêmes, que le dégoût nous paralyserait et nous condamnerait à une existence sans rendement. L’incompatibilité entre l’acte et la connaissance de soi semble avoir échappé à Socrate ; sans quoi, en sa qualité de pédagogue, de complice de l’homme, eût-il osé adopté la devise de l’oracle, avec tous les abîmes de renoncement qu’elle suppose et auxquels elle nous convie ? »
J’use de Cioran comme certains fondamentalistes avec la Bible ou le Coran : je l’ouvre au hasard, je lis et la Parole du Sage me dicte ce que je dois faire ! J’ai vu ça encore récemment dans un vieux film hollywoodien, le Château du Dragon ou Dragonwyck en Anglais, un film de Mankiewicz de 1946. Pour sonder l’avenir de sa fille, Miranda, le père très croyant, lui fait ouvrir la Bible et lis le passage qui s’avère favorable au projet de la jeune fille de quitter la ferme familiale. Je fais la même chose avec Schopenhauer… c’est pour cela que, sans doute, j’achèterai le volume de la Pléïade, pour pouvoir, tel un bréviaire, porter Cioran partout avec moi (parce que le volume Quarto de chez Gallimard… c’est pas pratique !)
A part cela… j’attends… quoi donc ? Comme tout le monde certainement, un bout de mort ou bien le prince charmant, c’est selon ! J’attends que le soleil se couche à l’horizon et qu’il enchante le ciel de ses tons orangés qui charment toujours autant mes yeux. J’attends que la vie se passe, je vis les soubresauts du quotidien comme autant de nids de poule sur un petit chemin qui sent la noisette. J’attends que la passion s’éteigne ou bien qu’une autre s’enflamme. Nietzsche avait finalement raison : tout n’est qu’un éternel retour de l’identique. C’est cela le tragique…