Naomi Klein, essayiste états-unienne, a fort bien décrit ce qu’elle appelle la « stratégie du choc ». Tirée d’expériences de tortures pratiquées dans les années 60 sur des êtres humains, comme les privations de sommeil ou d’expériences sensorielles, cette idéologie permet de faire accepter tout et n’importe quoi à un individu ou à un peuple soumis à un traumatisme sévère. Pour passer du stade individuel de torture au stade national, on peut se contenter d’attendre avec opportunisme les catastrophes naturelles qui déstabilisent des régions, par exemple l’administration Bush après l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans. On peut tout aussi bien passer après des coups d’État politiques, par exemple au Chili avec Pinochet. Ou avec toujours plus de cynisme, provoquer des conflits, des soulèvements, déstabiliser volontairement un pays comme les États-Unis en Irak au début des années 2000. L’objectif est depuis 40 ans toujours le même : faire passer à des populations traumatisées, chamboulées, perturbées physiquement et psychiquement des réformes néolibérales hautement toxiques pour le bien-être des plus fragiles, des travailleurs, des plus pauvres. La stratégie du choc est en fait les Panzedivizsionen du capitalisme financier de la fin du XXe siècle.
Une stratégie du choc à la française
La question aujourd’hui est de savoir si Emmanuel Macron et son gouvernement ne seraient pas en train d’appliquer mot à mot cette stratégie du choc, théorisée par les « économistes » de l’École de Chicago et en particulier par le sulfureux Milton Friedman (celui qui nous a fait croire que l’économie était une science !). Le bal mal masqué des ordonnances prises à tombeaux ouverts sans plus aucune concertation sociale. Le « pédagogisme » qui fait suite à un dégagisme sans doute salutaire de la classe politique qui brouille les repères classiques des citoyens tout en leur répétant à l’envi ce qu’il faut penser de la France d’aujourd’hui, nouvelle nation qui a confiance et à qui les investisseurs peuvent faire confiance. Le mépris de classe de plus en plus prégnant du président et des gouvernants pour ceux qui sont « en bas » d’une échelle sociale où la réussite ne se mesure pas tant au bonheur que l’on génère, mais à la compétition que l’on gagne… ou pas. Et depuis peu cette violence qui partout déborde, avec son corollaire rhétorique qu’emboîtent sans réfléchir médias et autres politiciens, celui de « il faut rétablir l’ordre étatique ». Enfin, ce culte passablement baveux des « valeurs de la République », culte héréditaire et qui conduit le moindre impétrant à un procès public en hérésie s’il s’imagine pouvoir ne pas y participer. Encore faudrait-il que nous soyons tous en accord avec ce que sont ces fameuses valeurs.
La fin d’une exception française
Tout ceci à mon sens n’est pas du populisme, même s’il s’en approche parfois par exemple dans la gestion de la crise des migrants. Mais ce plan de bataille ressemble bien plutôt à une stratégie du choc à la française. Rendez-vous compte : nous sommes le dernier pays occidental à n’avoir pas subi cette refonte totale de notre ADN. Les premiers furent les Anglais si fiers de Thatcher et qui à présent pleurent sur le Brexit. La France est un pays bien trop âpre à gouverner. J’ai cru, un temps, que la stratégie du choc allait surgir après la vague des attentats qui nous ont tous ensanglantés. Et puis non… est-ce que nos dirigeants n’ont pas le cynisme des Américains ou des Anglais ? Mais il est certain qu’il était plus difficile de faire passer un choc néolibéral, mot pour le moins médiocre dans notre langage national, à un moment de crise identitaire et politique. Il fallait un président des riches pour cela. J’ose à peine imaginer (et j’ai pourtant l’imagination fertile) les sourires et même les rires sarcastiques des « puissants » de ce monde devant l’étendue du rouleau compresseur macroniste qui fait table rase d’une façon française de faire de la politique.
Alors, je suis d’accord, cette stratégie du choc à la française intervient après 40 ans de n’importe quoi politique. Des décennies d’une politique qu’il y a un an, pour la campagne présidentielle, on a qualifié de « vieille politique ». On entendait par là une façon féodale et vassale de faire de la politique, entre soi, entre mâles blancs de plus de 50 ans… mais cette « vieille politique » est toujours là dans les territoires, dans les campagnes, dans les villes des régions. Je ne suis pas certaine non plus que les affres d’une vie politique faite de népotisme, d’hypocrisie, de corruption soient réellement derrière nous ! Faut-il pour autant passer en force, créer un choc par le mépris, l’indigence du dialogue social, le silence des gouvernants pour que quelque chose enfin se fasse ?
Ce que je dénonce ici ce ne sont pas les réformes qui appartiennent à tel courant idéologique. Ce que je dénonce c’est ce qu’il y a, à mon sens, derrière la façon de faire. Et cela me fait mal de penser que ce que Naomi Klein décrivait il y a quelques années est enfin arrivé sur nos terres, comme une peste qui se répand, une pandémie propagée par des zombies financiers qui regardent chaque jour sur leurs écrans géants les avancées terribles de la contamination.
Absolument d’accord ! Il est d’ailleurs assez facile d’imaginer que les violences de la manif d’hier (que je ne cautionne en rien d’ailleurs, cf mon profil Twitter) ont été largement favorisées par le gouvernement… Un syndicat policier a dit (et ce n’est pas la première fois que je vois ça) qu’ils avaient pour ordre de ne pas réagir tout d suite quand la casse commençait… C’est une stratégie pour diaboliser les manifestants et se mettre l’opinion publique dans la poche pour promouvoir le système néolibéral que le gouvernement a déjà commencé à imposer, mais ce n’est pas fini… Bref, je ne t’apprends rien.
Et je te rejoins sur une chose, non, les députés LREM n’ont pas renouvelé la classe politique avec des jeunes, mais des « jeunes » qui ont des idées de « vieux », mais surtout, des intérêts à défendre… Il y en a dont les interventions sont à gerber !
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j’aime beaucoup ce commentaire 😉 rien à ajouter je suis totalement d’accord avec ce que tu écris.
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« les députés LREM n’ont pas renouvelé la classe politique avec des jeunes, mais des « jeunes » qui ont des idées de « vieux », mais surtout, des intérêts à défendre… » Je plussoie ! Pour le reste, je pense qu’ils oscillent, de l’extrême-droite jusqu’à gauche (pour certains) entre perversion narcissique et psychopathie. Quelle frustration d’être gouvernés par ces gens-là. J’envie plus que jamais le pragmatisme scandinave !
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